Comédiation et plate-forme collaborative : le point de vue des adhérents
Le Syme poursuit depuis quelques mois une réflexion sur la mise en place d’une plate-forme collaborative à destination de ses adhérents. Au titre des services qui pourraient être proposés sur cette plate-forme, nous avions l’idée d’un dispositif de comédiation. Nous l’annoncions dans la newsletter de juillet : transfert de compétences, compagnonnage, enrichissement mutuel sous forme de regards croisés, y a-t-il un espace pour la comédiation dans les pratiques actuelles ? Près de 60 médiateurs adhérents du Syme, identifiés comme « expérimentés », ont été contactés et invités à exprimer leur positionnement sur le sujet : quels atouts voient-ils à la comédiation ? quels freins ? Seraient-ils prêts eux-mêmes à proposer des comédiations sur cette plateforme ? Cet article reprend les principaux enseignements de notre enquête et ouvre des pistes sur les contours possibles d’une plate-forme collaborative à venir.
La comédiation : tous d’accord sur le concept… ou presque
« Ce que nous devons apprendre à faire, nous l’apprenons en le faisant ». Aristote.
Une adhésion majoritaire au principe
D’un point de vue purement théorique, vous êtes un très grand nombre à approuver la comédiation. Plusieurs d’entre vous, qui la pratiquent déjà, sont convaincus de son bien-fondé. Vous êtes mêmes quelques-uns à plébisciter le principe de la comédiation, dont vous auriez bien voulu profiter à vos débuts.
Enrichissement mutuel, entraide, partage, filiation, ouverture
Pour la plupart d’entre vous la comédiation représente une richesse, un apport de savoir-faire, des temps d’échange utiles pour le médiateur débutant comme pour le médiateur expérimenté. Vous décrivez la comédiation comme un incontournable dans des médiations collectives ou les configurations complexes. C’est aussi selon vous la bonne réponse à une demande énorme de formation pratique de la part de médiateurs débutants, et un moyen d’assurer une transmission entre médiateurs « senior » et médiateurs « junior ». C’est enfin l’opportunité de promouvoir une culture d’ouverture et de fonctionnement en réseau entre médiateurs.
Entraide, solidarité, transferts de compétences, partages mutuels, autant d’atouts que vous attribuez à la comédiation, dont vous dites aussi qu’elle peut avoir un côté rassurant et confortable. D’ailleurs, pour quelques-uns, la comédiation est déjà une pratique courante, le plus souvent avec des médiateurs en formation ou médiateurs stagiaires.
Des réserves sur la mise en œuvre
« Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles ». Sénèque.
Profil et statut du médiateur débutant
Le profil et la formation du comédiateur sont souvent évoqués : des prérequis a minima en termes de nombre d’heures de formation, et de possession du diplôme d’Etat pour les médiateurs familiaux, vous paraissent indispensables. Vous vous interrogez également sur le statut du comédiateur : médiateur collaborateur ? stagiaire ? observateur ? Jacques Salzer (*), qui nous a fait part de sa vision sur le sujet, évoque différents statuts possibles qu’il importerait de définir au préalable : comédiateur silencieux, comédiateur invité, comédiateur stagiaire, comédiateur accompagnant, comédiateur intervenant, ou comédiateur ressource, par exemple, pour marquer différents degrés d’autonomie et clarifier un juste positionnement.
Posture du médiateur proposant
Certains médiateurs interrogés soulignent leur propre difficulté à accompagner un autre médiateur dans ses premiers pas : ils se demandent s’ils en ont la légitimité alors que ce n’est pas dans leurs pratiques, voire pas dans leur… ADN. D’autres évoquent des expériences de comédiation malheureuses qui ont mis un terme sans doute définitif à leur intérêt pour le sujet. Enfin, si la comédiation était un don (de la part du médiateur proposant), alors est posée la question du contre-don : sous quelle forme ? quel contenu ?
Confiance a priori, complémentarité, confidentialité
Vous le citez de façon récurrente : se découvrir mutuellement pendant la médiation, sans se connaître préalablement, comporte une prise de risque que plusieurs d’entre vous ne sont pas prêts à prendre : la confiance ne se décrète pas a priori, entraînant la comédiation sur un terrain potentiellement glissant, en tout cas délicat et sensible. La question de la complémentarité entre les deux médiateurs est aussi un point critique, supposant a minima une préparation en amont de la médiation. Enfin, le rappel de l’obligation de confidentialité par le comédiateur a été plusieurs fois évoquée.
Regard des personnes en médiation
Vous vous interrogez sur l’acceptabilité de la comédiation de la part des médiés ; en présence de deux médiateurs, les médiés pourraient se sentir moins en confiance, voire refuser de venir en médiation. Ils pourraient aussi instrumentaliser les médiateurs s’ils percevaient un manque de cohésion de leur part. La question du rôle et de la place des avocats est également soulevée.
Modalités pratiques
Vous évoquez des écueils pratiques : localisation de la médiation et déplacements associés, capacité d’accueil d’un comédiateur dans des locaux parfois restreints voire en l’absence de locaux, autorisations préalables à obtenir, par exemple dans un cadre associatif. Quelques-uns d’entre vous s’interrogent sur le fait que comédier pourrait entrainer des contraintes d’agenda préjudiciables au besoin de réactivité et de disponibilité du médiateur.
Libéral ou associatif ?
Le fait d’exercer en libéral ou en milieu associatif ne paraît pas avoir une incidence sur l’adhésion ou pas au principe de la comédiation – étant précisé qu’il n’est pas question dans ce dispositif de partage d’honoraires. Pour certains, comédier en libéral sans avoir travaillé au préalable avec le comédiateur, parait non envisageable ; pour d’autres, comédier serait possible uniquement dans leur pratique en libéral, mais pas dans leur cadre associatif, plus contraint.
Pour quelles médiations ?
La comédiation paraît, au vu de nos échanges, se prêter davantage au domaine conventionnel que judiciaire. En matière judiciaire, le statut du comédiateur vous paraît à préciser, et vous soulignez que les places sont souvent déjà prises (stagiaires). La comédiation dans le domaine familial est déjà pratiquée par plusieurs d’entre vous, et pour d’autres fait l’objet de réticences. La médiation de la consommation se prête selon la plupart d’entre vous assez peu à la médiation, du fait de son processus spécifique. La médiation du travail est un terrain possible, avec des réserves émises sur les opportunités trop peu nombreuses. La médiation de voisinage a été peu abordée.
La comédiation dans tous ses états
Que vous évoquiez des difficultés en termes de confiance, légitimité, statut, formation, postures, positionnements réciproques, vous manifestez un besoin d’agilité et de souplesse dans la mise en oeuvre de la … « médiation quand on est deux médiateurs ». Plusieurs approches nous paraissent donc possibles, dessinant un dispositif à géométrie variable.
Un comédiateur peu expérimenté mais jouant un rôle actif
Il s’agit de la comédiation dans sa vocation originelle telle que nous l’abordions avec vous, de « formation-action » pour les plus « jeunes » dans le métier.
Un comédiateur connu et choisi
Dans cette forme de comédiation, on pourrait « se choisir » : parce qu’on se connaît déjà, au moins un peu, et qu’on se fait confiance, prémices intangibles selon certains d’entre vous d’une comédiation réussie.
Un comédiateur expérimenté quand la proposition de médiation provient d’un médiateur jeune dans le métier
A l’inverse, vous proposez aussi que des médiateurs peu chevronnés proposent à des médiateurs aguerris de comédier avec eux afin de les accompagner dans leurs premiers pas.
Un médiateur observateur ou médiateur stagiaire
Dans cette hypothèse, le médiateur expérimenté accueille un médiateur invité, sous réserve de l’accord des parties, pour un temps d’observation plus ou moins participante, selon le souhait du médiateur en lead ; un temps initiatique sous forme de compagnonnage, permettant au médiateur invité de vivre de l’intérieur une médiation, et « d’apprendre » ensuite du médiateur aguerri.
Alors finalement, êtes-vous prêts à la comédiation ?
Oui
Oui très certainement pour un tiers d’entre vous. Plus d’un quart d’entre vous seraient même prêts à proposer des comédiations dès cette rentrée 2018 sur la plate-forme de mise en relation. Sous réserve que les comédiateurs aient les prérequis en matière de formation, et… d’avoir effectivement des médiations à proposer.
Non
Non pour un tiers d’entre vous. Soit parce que vous pratiquez déjà la comédiation avec un vivier de comédiateurs identifiés et non extensible, soit parce que vous ne souhaitez pas vous engager dans cette dynamique pour les raisons évoquées plus haut.
Peut-être
Et vous êtes environ un tiers dans l’expectative : intéressés et en même temps prudents, attentifs au sujet en tant que spectateurs, plutôt qu’en tant qu’acteurs. Avec le besoin que l’idée fasse son chemin.
Quelles suites ?
Les réflexions se poursuivent. La comédiation pourrait faire partie d’un dispositif élargi permettant aux adhérents du Syme d’accéder à une palette de services. Pas révolutionnaire, mais opérationnelle et alimentée. Sont cités pêle-mêle les propositions suivantes :
Co-médiation
Comédiation, bourse de médiations, aide à la mise à disposition de profils particuliers ou complémentaires (ex : je cherche un médiateur parlant telle langue, ou ayant tel domaine de connaissance métier)
Offres de stage
Pour une aide organisationnelle, observations d’une médiation (…)
Analyse, échanges entre pairs
Moments d’échange entre médiateurs sous forme de rencontres ou de tchats en ligne, propositions à l’initiative des adhérents d’analyse de pratiques par région, jeux de rôle, supervisions…
Et plus largement tout moyen de développer davantage les interactions entre les adhérents.
Propositions évènementielles
Invitations de médiateurs de renom, soirées évènementielles autour d’un thème
Appels au sein du réseau pour contribuer à un projet, intervenir dans un évènement
Partage documentaire
Bibliothèque en ligne, partage de lectures sur le réseau, liens vers des newsletters sur la médiation…
En conclusion
« En toute chose, les débuts sont modestes » disait Cicéron.
Sur la comédiation, les visions sont nuancées, les intentions sont dispersées. Sur la plate-forme collaborative, les attentes sont inégales, certains l’appelant de leurs vœux quand d’autres n’en ressentent pas le besoin immédiat, ou bien trouvent déjà des réponses au sein des associations de médiation. Mais d’une même voix, vous parlez assez unanimement, et très spontanément, de la nécessité de faciliter l’accès à des stages et à la pratique pour les médiateurs débutants, mais aussi de la nécessité « d’œuvrer pour la médiation », de développer sa notoriété, pour l’ancrer dans le quotidien des prescripteurs, et dans le champ des possibles pour les usagers. De votre point de vue, le Syme a une carte à jouer dans ces objectifs. N’hésitez pas à continuer à vous exprimer sur ces points dans les commentaires ci-après. Nous poursuivons nos réflexions et vous informerons dans la prochaine newsletter des suites concrètes, co-construites avec vous.
(*) Jacques Salzer, Enseignant-chercheur (Universite Paris-Dauphine 1974-2004), médiateur et auteur de nombreux ouvrages sur la médiation, a été co-créateur de la formation « Les Pratiques de médiation » au CNAM. Il est intervenu dans de nombreuses autres institutions tant en France qu’à l’international.
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