Une pratique de la médiation en Suisse : du tiers de confiance au médiateur
Christophe IMHOOS est avocat au barreau de Genève. Il intervient dans différentes formations en médiation, négociation et gestion des conflits auprès des Universités de Genève, Savoie-Mont-Blanc (USMB) et Lille (UCL). Il est médiateur assermenté dans les cantons de Genève, Vaud et Fribourg, membre de la commission de médiation du canton de Genève et médiateur au conseil de l’Europe à Strasbourg.*
Propos recueillis par Nathalie MAUVIEUX, médiatrice
Du droit à l’amiable, de l’arbitrage à la médiation
Après un Master aux USA (1986-87), j’ai d’abord occupé une charge de conseiller-juriste auprès du secrétariat de la Cour internationale d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale (CCI/ICC) à Paris (1987-1991), puis commencé par une activité d’arbitre commercial international (1992-2005). Après 13 ans de cette pratique, je constate qu’il me manque quelque chose, de l’ordre de la relation avec les personnes. Je décide alors de m’orienter vers la médiation, qui, à l’époque, est encore peu développée en Suisse. Je suis alors une formation à la médiation à Sion, avec Jean-Pierre Bonafé-Schmitt, en 2005, puis un Master européen en médiation délivré par l'Institut universitaire Kurt Boesch. Je rejoins une association de médiation de voisinage, puis la Maison genevoise des médiations, pour m’associer ensuite avec une collègue afin de développer la médiation familiale, pénale, et en milieu de travail. Par ailleurs, je développe une activité de « personne de confiance » en entreprise, sur les risques psychosociaux (RPS).
La personne de confiance
En Suisse le Code des obligations n’impose pas comme en France d’analyse obligatoire des RPS dans un document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP). Dans une approche libérale, les entreprises sont considérées comme responsables et l’Etat intervient peu. Néanmoins, en 2012, une jurisprudence du Tribunal fédéral suisse a imposé aux entreprises, quelles que soient leur taille, l’obligation de mettre en place des dispositions pour la prévention des RPS, afin d’éviter notamment stress, burnout, comportements de harcèlement moral et psychologique et conflits, bref dans le souci de garantir la protection de la santé physique et psychique des travailleurs.
Ce dispositif comporte un volet « formel », qui prévoit un dépôt de plainte sur des allégations de harcèlement et un volet « informel » qui se traduit par la désignation d’une personne de confiance, impartiale et externe à l’entreprise, pour contribuer à la protection de la santé psychique des salariés. L’entreprise a l’obligation de mentionner les coordonnées de cette personne de confiance dans son règlement intérieur, en relation avec la protection de la personnalité des collaborateurs et des atteintes à leur intégrité personnelle. Il existe désormais un organisme privé qui assure la formation et la certification des personnes de confiance.
Le Tribunal fédéral est attentif à ce que l’existence du tiers de confiance soit régulièrement rappelée en entreprise, car bon nombre de salariés n’en sont encore pas informés à ce jour et des statistiques mettent en avant que seulement 1% des salariés d'entreprises suisses recourent à ce dispositif. Il ne suffit en effet pas seulement à l’employeur de mettre un tiers à disposition pour satisfaire à son obligation de protection des salariés et de prévention des RPS. Des enquêteurs appartenant à des organismes spécialisés en santé au travail et prévention des RPS, vérifient régulièrement si ce dispositif est connu.
La mission de la personne de confiance
La personne de confiance reçoit en entretien individuel les salariés en souffrance, qui rencontrent des difficultés ou des conflits au travail. Elle garantit une confidentialité absolue des entretiens et ne fait aucune restitution à l’employeur. L’entreprise n’a pas connaissance de l’identité des personnes qui viennent le voir, les entretiens étant réalisés hors des locaux de travail.
Je suis référencé en tant que personne de confiance dans plusieurs entreprises, totalisant environ 12.000 salariés. Pour autant, je rencontre rarement plus d’une soixantaine de personnes dans l’année, soit environ 5 par mois. A l’instar du médiateur, je mobilise des techniques d’écoute active pour que chaque personne que je reçois puisse déposer pleinement, dans la confidentialité, ce qui ne va pas pour elle. Nous examinons avec la personne les options de solutions possibles pour elle dans sa situation : en parler ou pas, auprès de qui (hiérarchie, RH, avocat, professionnel de la santé), quitter l’entreprise ou pas, voire orienter vers la médiation, ce qui dans ma pratique reste assez rare.
Mon rôle étant avant tout de permettre à la personne de s’exprimer auprès d’un tiers aidant. Si une médiation est envisagée, je demande à la personne de se manifester auprès du prescripteur (hiérarchie ou RH) avec lequel j’ai un échange et une validation préalable au lancement du processus.
Je suis parfois chargé de conduire des enquêtes pour harcèlement, mais de façon toujours disjointe de mon rôle de personne de confiance ou de médiateur. A noter que les entreprises suisses ont tendance à externaliser la conduite des enquêtes, dans un but de neutralité et d’impartialité.
Une loi d’encouragement à la médiation avec prise en charge financière
La constitution suisse précise que l’Etat encourage la médiation. Une loi a été promulguée en 2024, au niveau du canton de Genève, pour contribuer à la paix sociale et limiter la judiciarisation des rapports sociaux, en favorisant le recours à la médiation comme méthode de résolution amiable des conflits.
Ainsi, à Genève, l’Etat prend en charge le coût de la médiation à hauteur de 7h30 renouvelable 4 fois, ce qui représente un budget annuel de plus d’un million d’euros. Cette prise en charge spécifique peut être différente dans d’autres cantons, chacun ayant sa politique de médiation. La prise en charge financière par l’Etat ne semble pas déresponsabiliser les justiciables : lorsqu’ils optent pour la médiation, ils s’engagent pleinement dans le dispositif. Plus de 600 affaires depuis le début 2024 jusqu'à ce jour ont déjà donné lieu à des médiations, qui se traduisent dans les deux tiers des cas par un accord, en général dans le cadre de la première tranche d'heures.
Une commission de médiation est instaurée pour superviser et réguler la pratique de la médiation dans le canton. Les médiateurs doivent être assermentés, soit être portés au tableau officiel du canton et remplir certaines conditions, telles que posséder une formation certifiée et reconnue de 120 heures au minimum, avec une expérience professionnelle pertinente. Le médiateur est choisi par les parties sur la liste des médiateurs assermentés, et reçoit une rémunération horaire de 200 CHF (214 EUR).
Les résistances au développement de la médiation
Depuis le 1er janvier 2024, toute personne intéressée par la médiation peut se rendre au Bureau de la médiation qui tient une permanence dans les locaux du Palais de justice de à Genève. Cette initiative découle directement de la loi de 2023, qui a créé le cadre légal et les structures nécessaires pour favoriser l’accès à la médiation pour tous sur la base de la constitution genevoise. Il s’agit de médiations conventionnelles en matière familiale (séparation, divorce), voisinage, conflits sur le lieu de travail, baux et loyers, commerciaux, voire en relation avec la justice pénale des mineurs et des majeurs ou encore des conflits à forts enjeux ou enjeux de moindre importance ...
La loi de 2023 a provoqué beaucoup de résistances. Le projet de loi tendait notamment à imposer une sensibilisation soutenue à la médiation de la part des avocats et des juges, et a été rejeté en faveur d'un contre-projet. Certains juges civils, sceptiques sur la médiation, considéraient que la conciliation préalable obligatoire, prévue par le Code de procédure fédéral suisse, était suffisante. Certains, juges comme avocats ont pu percevoir la médiation comme une pratique concurrentielle, dont les tenants et aboutissants leur échappaient, ont jeté un doute sur son sérieux et sa légitimité.
Un groupe de travail s’est constitué réunissant avocats, magistrats et médiateurs. Les avocats et les juges ont d’abord fait front commun mais finalement, la culture de la médiation commence à prendre : les juges civils y viennent, le Conseil fédéral dans son message à l'appui du projet de Code de procédure civil unifié précité, qui s’applique à tous les cantons, que le règlement amiable avait la priorité sur le règlement judiciaire. La loi précise également que la conciliation judiciaire peut être remplacée par la médiation. Ce droit d'option est toutefois rarement utilisé.
Les juges du pénal constatent que la médiation fonctionne plutôt bien en tant qu’alternative à des poursuites et sanctions. Petit à petit, il me semble que les juges recommandent de plus en plus la médiation, même si elle reste encore pour eux associée à une vision juridique et procédurale davantage que de relation et de communication. Le code de déontologie du Barreau de Genève indique par ailleurs qu’il faut rappeler en tout temps cette possibilité, y compris en cours de procédure.
Comment exerce-t-on la médiation en Suisse ?
La Fédération médiation suisse (FSM), qui regroupe un grand nombre d’associations de médiation, certifie les médiateurs en matière familiale, avec une exigence de formation de base et d’une spécialisation. La chambre suisse des médiations commerciales accrédite les médiateurs commerciaux. Pour le reste des domaines de médiation, il n’y a pas de certification ou d’accréditation particulière.
Du fait de la prise en charge par l’Etat d’une partie des coûts de la médiation dans le canton de Genève, j’informe les parties ou avocats me sollicitant pour une médiation conventionnelle, que passer par le Bureau de la médiation n'occasionne pour eux aucun frais. Le Bureau de la médiation est en effet une entité du pouvoir judiciaire, spécifique du canton genevois, qui promeut la médiation comme mode de règlement amiable des litiges. Ce Bureau informe le public, conseille les personnes en conflit, et facilite l’initialisation de la médiation. Il peut être consulté indépendamment de l’existence d’une procédure judiciaire et peut orienter également vers d’autres dispositifs spécifiques d’accompagnement ou de règlement amiable des litiges.
Il me semble que le développement des modes amiables en juridictions est plus abouti à ce jour en France qu’en Suisse, puisqu'à la médiation s’ajoutent la procédure participative, le droit collaboratif, l’audience de règlement amiable… Ce qui n’exclut pas que des résistances s’opèrent comme en Suisse, fondées sur des enjeux de pouvoir.
Le registre émotionnel, trait d’union de toutes les médiations
En tant que médiateur, je m’intéresse avant tout aux personnes, à séparer les personnes du problème, en leur laissant exprimer leurs ressentis, perceptions et leurs émotions. Je conçois mon rôle de médiateur comme le fait d’offrir un espace suffisamment « confortable » pour que les personnes puissent se livrer.
Mon intention est que chacun puisse prendre la mesure de ce que l'autre vit, pour parvenir à un état d’intercompréhension réciproque qui permette de créer les ponts et de rechercher dans la créativité, des solutions mutuellement satisfaisantes pour chacun.
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(*) Christophe Imhoos, licencié en droit de l’Université de Genève, titulaire d’un Master of Comparative Jurisprudence de la New York University School of Law et d’un Master européen en médiation de l’Institut Kurt Boesch (IUKB) de Sion (Valais). Il a créé l’Association romande de droit collaboratif (Collaborative Law) et exerce exclusivement dans la gestion amiable des conflits comme médiateur, conciliateur, arbitre et avocat collaboratif. Il conduit également des enquêtes externes en matière de harcèlement ainsi que sur le climat de travail en entreprise. Il est en outre ‘personne de confiance’ d'un grand nombre d'entreprises de suisse romande. Il supervise en outre le réseau des médiateurs scolaires du secondaire II à Genève.
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