Pratique de la médiation, une image séduisante, une réalité plus complexe
Comment ne pas être tenté par l'idée de contribuer à l'avènement d'un monde apaisé, dans lequel les personnes seraient encouragées à mieux se comprendre mutuellement, et où les conflits pourraient plus facilement être résolus ? Comment ne pas être tenté par l'apprentissage des techniques de médiation, qui sont aussi l’occasion d’expériences personnelles exaltantes ? La médiation bénéficie d'une image séduisante, qui explique peut-être que les candidat(e)s à la formation en médiation soient aussi nombreux. Pour donner un ordre de grandeur, précisons que chaque année les différentes formations valident en France plus de 800 diplômes de médiateur(e)s. Examinons de plus près quelques-unes des conséquences de ce succès.
Le diplôme d'État de médiateur familial, ou DEMF comprend, au-delà des modules consacrés à la technique et à la posture de médiation, de ceux consacrés à la psychologie, à la sociologie et au droit de la famille, une action de communication, un stage pratique et un mémoire. Les 150 médiateur(e)s issus annuellement de cette formation, dont la sélectivité est importante, sont préparés à s'engager professionnellement et à employer leurs compétences. La médiation familiale, dont l’effectif peut-être estimé à 1500 praticien(ne)s environ, gagne progressivement en légitimité et connait une croissance régulière, proche de 7% par an, hors Covid, comme en témoigne l’Atlas publié annuellement par la CNAF.
Tout n'est pas simple pour autant une fois ce DEMF obtenu. Les salaires proposés dans les centres de médiation sont encore modestes. De plus, le diplôme d'État n'est pas obligatoire pour exercer la médiation familiale en libéral. Et pour une installation en libéral, qui demande, comme toute installation en libéral, plusieurs années, il y a une difficulté supplémentaire : les centres de médiation familiale conventionnés par la CNAF représentent, du fait de leurs tarifs subventionnés, une concurrence économique indéniable, un challenge de plus dans la proposition de service. Enfin, les médiateur(e)s avaient fondé de grands espoirs sur une généralisation de la tentative obligatoire d’information sur la médiation familiale, expérimentée depuis 5 ans dans 11 juridictions. C’eût été un formidable facteur de croissance, mais rien n’indique à ce stade qu’il sera prochainement validé par la Justice.
D’autres formations spécialisées existent, notamment au niveau master, avec des stages obligatoires, comme dans le domaine de la médiation en entreprise par exemple, pratique qui commence à prendre un bel essor depuis quelques années, même si le chemin reste encore long.
Les autres formations, dites généralistes, permettent d’acquérir des connaissances sur le domaine et les outils de la médiation. Ont-elles vocation à former des professionnels ? Elles conduisent souvent à la délivrance d’un diplôme, universitaire ou non. Ces formations n’incluent généralement ni stage pratique ni préparation professionnelle. Moins sélectives, elles produisent chaque année plus de 650 nouveaux diplômé(e)s, qui viennent compléter les effectifs des médiateur(e)s précédemment diplômé(e)s. Certes, tous ces diplômé(e)s ne cherchent pas à exercer la médiation, et peuvent avoir entrepris cette formation au titre d’un autre projet personnel ou professionnel.
En l’absence de données statistiques sur l'activité des médiateur(e)s généralistes, il est aujourd'hui difficile d'estimer le nombre de personnes pratiquant une activité de médiation généraliste, et d’affirmer que cette activité connaisse une croissance significative. Il semble toutefois que cette activité soit le plus souvent exercée à temps partiel. On peut alors comprendre que les médiateur(e)s plus seniors réservent un faible accueil aux nouveaux diplômés. De nombreux jeunes diplômés, faute d'opportunités de co-médiation leur permettant d’asseoir leur savoir-faire, rencontrent donc les plus grandes difficultés à mettre en œuvre les enseignements reçus.
L’absence de données d’activité peut contribuer à expliquer, en amont des inscriptions aux formations, l’absence de mise en garde et d’information sur les perspectives d'emploi dans le secteur. Ce n'est donc qu'une fois le diplôme obtenu que les étudiant(e)s réalisent que l'activité est si concurrentielle, et que, pour accéder à une pratique régulière et rémunérée de médiation, il leur faudra accepter de semer sans beaucoup récolter pendant plusieurs années. Une partie importante de ces médiateur(e)s finit, à plus ou moins long terme, par se décourager, ce qui est source d’amertume.
En conclusion, quel que soit le chemin de formation suivi, l’accès à une pratique professionnelle de médiation est délicat. En premier lieu, de même qu’on n’apprend pas la peinture en suivant des conférences dans un musée, on ne construit pas une profession sans une longue pratique. Ensuite parce que l’arrivée massive de nouveaux diplômés impacte chaque année une activité dont le niveau et la croissance ne sont pas encore satisfaisants dans tous les secteurs. Cette analyse nous conduit logiquement à recommander les actions suivantes :
- bâtir des indicateurs fiables sur l’activité nationale des médiateur(e)s (acteurs et activité par secteur)
- en fonction des enseignements de ces indicateurs, réfléchir aux actions propres à soutenir le développement d’activité
- communiquer, en direction des candidat(e)s aux formations en médiation, sur l’état de la profession de médiateur(e), afin qu’ils s’orientent vers cette profession convoitée en bonne connaissance de cause
- développer les stages de pratique en comédiation au cours de la formation des médiateur(e)s.
Ont contribué à la rédaction de ce document :
Catherine Dimitroulias, Laurence Hanin-Jamot, Nathalie Mauvieux, Jean-François Pellerin
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