L’arbitrage commercial international : témoignages et retour d’expérience
Interview de Corinne NGUYEN et Marianne KECSMAR recueilli par Nathalie MAUVIEUX (1)
Corinne NGUYEN est Docteur en droit et Of Counsel au cabinet PKM avocats, et enseigne l’arbitrage international à l’Université Paris Nanterre et la Faculté de droit de l’Université Catholique de Lille. Elle assiste une clientèle internationale et collabore régulièrement avec des arbitres et des cabinets d’avocats sur des dossiers d’arbitrage international .
Marianne KECSMAR est avocate aux barreaux de Paris et de New York et membre de la Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de Commerce International (CCI) à Paris. Spécialisée en droit international privé et en arbitrage international, elle est régulièrement nommée comme arbitre et conseille une clientèle internationale. Elle a cofondé PKM avocats .
L’arbitrage, un mode amiable de règlement des différends qui donne lieu à une sentence arbitrale
L’arbitrage est un mode de résolution des litiges par lequel les parties décident, d’un commun accord, de soustraire l’examen de leur différend aux juridictions étatiques et d’en confier son règlement définitif à un tribunal arbitral composé de un ou trois arbitres. Sous réserve des questions liées à l’arbitrabilité du litige, cet accord prend la forme d’une clause d’arbitrage conclue au moment de la signature du contrat ou d’un compromis d’arbitrage conclu après la conclusion du contrat et naissance du litige. Les parties ont le choix entre deux types d’arbitrage, institutionnel ou ad hoc , qui traduisent la dimension conventionnelle et juridictionnelle de l’arbitrage.
C’est une justice volontaire et privée, et l’arbitre désigné par les parties (ou nommé par le centre d’arbitrage) exerce une mission similaire au juge. Il rend une décision obligatoire (sentence arbitrale) qui tranche la contestation entre les parties en application des règles de droit applicable choisies par les parties ou déterminées par le tribunal arbitral.
La sentence bénéficie de l’autorité de la chose jugée et elle est exécutoire au moment où elle est rendue. A défaut d’exécution volontaire, son exécution forcée pourra être obtenue avec l’aide de la force publique et du juge de l’exequatur. L’arbitre qui a rendu la sentence est functus officio, à savoir qu’il est dessaisi de la mission qui lui est confiée par les parties.
Sous réserve de l’arbitrabilité du litige qui peut varier d’un ordre juridique à un autre, les acteurs du commerce international (personnes physiques ou publiques) peuvent recourir à l’arbitrage pour le règlement de leurs différends qui découlent du contrat ou en relation avec celui-ci. Les domaines d’activité sont très variés (énergie, construction, télécommunications, distribution, vente, financement de projets, droit des sociétés, etc.).
Comment devient-on arbitre ?
Pour Corinne, c’est un peu le fruit du hasard. Après un DEA et un Master (LL.M) en droit comparé en Angleterre, elle a eu l’opportunité de travailler pour la Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de Commerce International (CCI) à Paris en qualité de Conseiller-adjoint. Elle a servi l’institution pendant de nombreuses années avant de rejoindre un cabinet d’affaires américain et de s’établir ensuite à son propre compte.
Pour Marianne, après avoir obtenu ses différentes qualifications (DEA de droit international privé, LL.M à New York, Barreaux de Paris et New York), elle effectue un stage en contentieux avant de se tourner vers l’arbitrage international au sein de grands cabinets américain et anglais.
L’arbitre est souvent un professionnel du droit qui est spécialisé dans un ou plusieurs domaines d’activités. On trouve généralement des avocats, des professeurs de droit mais aussi des ingénieurs et autres experts qui se sont faits connaître à l’occasion de leurs dossiers, publications, conférences, séminaires ou formations à l’arbitrage auxquels ils participent.
Pourquoi recourir à l’arbitrage et faire appel à un arbitre ?
L’arbitrage, en tant que mode alternatif au règlement des différends commerciaux transfrontaliers est le mieux adapté aux besoins du monde des affaires et des échanges économiques :
- Absence de risque de préférence nationale qu’on peut trouver devant les tribunaux étatiques ; « un arbitrage vaut souvent mieux qu’un procès en terre inconnue ».
- Garantie et homogénéité des compétences et expertises des arbitres ;
- Indépendance et impartialité des arbitres, qui sont choisis librement par les parties qui leur font confiance mais sous le contrôle des centres d’arbitrage (contrôle de la Déclaration d’indépendance et d’impartialité, voire de disponibilité signée par les arbitres) ;
- Flexibilité de la procédure qui est conduite suivant l’accord des parties par des arbitres disponibles qui doivent gérer la procédure « à moindre coût et dans les meilleurs délais » ;
- Rapidité des procédures d’arbitrage ;
- Confidentialité ;
- L’exécution des sentences arbitrales est facilitée grâce à la Convention de New York du 10 juin 1958 sur la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales qui est ratifiée par 172 pays et qui limite le nombre de voies de recours contre les sentences arbitrales.
La posture de l’arbitre, des points communs avec celle des autres MARD
Les arbitres en tant que juges « privés » observent une déontologie stricte - indépendance, impartialité, neutralité - et peuvent engager leur responsabilité contractuelle et pénale contrairement à un juge. Ils complètent à cet effet une déclaration d’acceptation et d’indépendance qui confirme une absence de conflit d’intérêts à l’égard des parties. Cette obligation de révélation des arbitres doit être respectée tout au long de la procédure d’arbitrage, au moment de leur nomination jusqu’à la fin de la procédure pour ne pas risquer de remettre en cause la validité de la sentence arbitrale à rendre.
Une approche méthodologique structurée
Après un premier contact avec les parties, les arbitres étudient le dossier (composé généralement à ce stade de la demande d’arbitrage et de la réponse) en vue de rédiger un acte de mission (obligatoire dans le cadre d’un arbitrage CCI) et de fixer une réunion avec les parties et leurs conseils pour établir le calendrier procédural : l’échange des mémoires, les dates et durée des audiences, la clôture des débats en vue du délibéré et de la reddition de la sentence arbitrale.
La durée des audiences est variable suivant la complexité des dossiers et la culture juridique des arbitres et des conseils des parties (notamment dans les pays anglo-saxons). Elles peuvent s’étaler sur une journée ou plusieurs semaines où les conseils plaident, interrogent et contre-interrogent les témoins et les experts (factuels ou techniques) devant le tribunal arbitral.
L’exécution des sentences arbitrales
La sentence arbitrale a l’autorité de la chose jugée dès qu’elle est rendue par les arbitres. Elle doit être notifiée aux parties pour leur permettre d’en prendre connaissance et de marquer le point de départ des recours ouverts à son encontre.
Les arbitres n’ayant pas le pouvoir de contrainte ou l’imperium des juges, il conviendra d’obtenir l’exequatur pour que la sentence - complétée par l’ordonnance d’exequatur - soit exécutoire. En droit français, il importe de distinguer selon que les sentences sont rendues en France (v. art. 1519 du Code de procédure civile ou « CPC ») et à l’étranger (v. art. 1525 CPC) sachant que les recours formés en matière d’arbitrage international ne sont pas suspensifs d’exécution sauf si elle lèse gravement les droits d’une des parties (v. art. 1526 CPC).
En pratique, il est possible d’observer que les sentences arbitrales sont exécutées volontairement par la partie perdante dans une grande majorité des cas (plus de 75%) .
Des différences de fond par rapport à la médiation
- En médiation, les parties peuvent évoquer à tout moment des éléments non circonscrits à l’objet premier du litige; dans l’arbitrage, les points constitutifs du litige qui doivent être tranchés par les arbitres sont définis à l’avance entre les parties et le tribunal arbitral pour limiter le cadre du litige et du mandat de l’arbitre et éviter de nouvelles demandes d’une des parties en cours de procédure.
- La médiation peut s’arrêter à tout moment selon le principe de la liberté des parties, alors que l’arbitrage est un mode contraignant. La procédure doit être menée à son terme avec la reddition de la sentence finale dans le respect du contradictoire et de l’égalité de traitement des parties.
- L’arbitre tranche le litige conformément aux règles de droit sauf si les parties lui accordent le droit de décider en équité ou comme amiable compositeur. L’arbitrage se distingue à cet effet de la médiation qui est un espace de communication.
- L’accord en médiation, à moins d’en demander l’homologation, n’est pas contraignant sauf à souligner l’importance de la Convention de Singapour sur la médiation commerciale internationale des Nations Unies qui a été adoptée le 20/12/2018 et entrée en application le 12/09/2020 . Ratifiée par 55 pays, elle a été grandement inspirée de la Convention de New York de juin 1958 sur la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales qui est ratifiée par 172 pays.
- Une procédure d’arbitrage est généralement plus longue et plus coûteuse qu’un processus de médiation en raison de la complexité du litige et des montants en litige, mais aussi des honoraires et frais de conseils des parties qui représentent 83% du coût total de l’arbitrage .
Conclusion
L’arbitrage est un mode de règlement des litiges où les parties ne cherchent pas nécessairement à transiger leur litige à la différence de la médiation où elles peuvent s’orienter vers l’exploration d’un possible accord.
L’état d’esprit des différents acteurs est différent mais il serait faux de penser que l’arbitrage est un mode concurrent de la médiation. L’arbitrage est une alternative à la médiation tout comme l’arbitrage et la médiation sont des alternatives aux règlement des différends devant les juridictions étatiques.
Les avocats, formés au contentieux et à la médiation, ont un rôle de conseil important auprès des clients, tout comme les arbitres pourraient accepter d’être des facilitateurs - plutôt que des juges même si c’est rare en pratique - qui proposeraient aux parties de s’engager dans une tentative de médiation en cours d’arbitrage si les circonstances de l’affaire s’y prêtent.
Notes
(1) L’objet de la discussion est porté principalement sur l’arbitrage commercial international plutôt que l’arbitrage interne.
(4) L’arbitrage institutionnel est un arbitrage administré et supervisé par une institution d’arbitrage, telle que la CCI, en application de son règlement d’arbitrage qui règle fixe les principales règles gouvernant la procédure d’arbitrage. A l’inverse, L’arbitrage ad hoc n’est pas confié à une institution d’arbitrage et se déroule entre les parties et les arbitres qui bénéficient de la plus grande liberté pour organiser la procédure d’arbitrage.
(5) https://arbitration.qmul.ac.uk/research/2008/
(6) https://uncitral.un.org/fr/texts/mediation
(7) https://uncitral.un.org/fr/texts/arbitration/conventions/foreign_arbitral_awards
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