Une consultation spécialisée « Médiation et souffrance au travail »
Un entretien avec Daniela Schwendener, propos recueillis par Nathalie Mauvieux
Un engagement comme une vocation
Comment devient-on médiateur ? J’ai éprouvé très jeune la dimension interculturelle puisque j’ai grandi en Suisse, pays neutre s'il en est, et une petite partie très jeune en Lombardie, à cheval entre plusieurs cultures entre la suisse allemande et française; j’ai aussi pris conscience très tôt que chaque citoyen peut se faire entendre par les institutions suisses. Cela construit un point de vue et un rapport au monde où demander s’obtient sans quémander.
J’ai été marquée, alors que je travaillais en 1999 sur des programmes d’alphabétisation à l’Unesco, par le témoignage, dans le cadre de l’année de la Culture de la Paix, d’une rencontre de médiation se déroulant dans un collège entre le proviseur et un élève exclu du collège. Alors que l’élève ne comprenait pas son exclusion, avec son proviseur, ils ont pu se parler et s’expliquer. Ce témoignage a agi sur moi comme un révélateur. Je suis alors entrée au CMFM (Centre de Médiation & de Formation à la Médiation), et j’ai été comme aspirée vers la médiation. Je quitte l’UNESCO début 2000 et après ma formation je commence des médiations pénales à un rythme soutenu, puis je continue en travaillant pour la Direccte tout en développant un master de Sciences de l’Education.
Médiation et accompagnement
Je réalise en entreprise des prestations de médiation et d’accompagnement. Les causes les plus fréquentes d’appel à médiation, dans ma pratique, sont les allégations de harcèlement moral associées fréquemment au burnout ; d’une situation interpersonnelle, la problématique sous-jacente est souvent les dysfonctionnements de l’organisation ensuite, par jeux d’influence et d’alliance, elle peut être collective. Cela arrive souvent à des femmes, à leur retour de congé maternité : « tu reviens de congé mat, tu n’es pas en forme, tu ne dors pas, tu n’es pas la même qu’avant ».
Neutralité, humanité : deux qualités essentielles du médiateur
Dans la médiation du travail, la terminologie utilisée est importante. Le médiateur ne doit pas se laisser influencer par le discours, le « jargonnage » de l’entreprise ; c’est aussi cela la neutralité du médiateur : ne pas paraître faire alliance de langage avec les parties concernées. Je conçois la médiation comme étant au service des êtres humains, en toute humanité : être à l’écoute, dans la reconnaissance de l’Autre, prendre du temps, favoriser l’empowerment.
Prendre en compte les émotions et les sentiments, plutôt que l’objet du conflit en tant que tel ; il m’arrive parfois, dans ma pratique, de faire diversion lorsque l’on tourne en rond : j’amène alors les parties à sortir du conflit à proprement parler pour évoquer d’autres univers que celui qui les oppose : des voyages, des hobbies, les enfants… évocations auxquelles les médiés ont l’entière liberté de ne pas répondre.
Une approche spécifique avec les managers
En entreprise, les managers adoptent parfois des méthodes pathogènes qui rendent malades : prescriptions de tâches non nécessaires, objectifs irréalisables poussant à la « faute », exigences de re-travailler les tâches demandées, consignes données puis reprises avec la même facilité… La plupart des managers que je reçois en entretien individuel le comprennent. Ils doivent apprendre le non jugement, la bienveillance efficace tout en étant exigeant.
Travailler sur la dimension émotionnelle est difficile dans le monde de l’entreprise ; il faut un certain courage pour les managers, que ce soit en médiation ou en accompagnement collectif, pour entendre des discours qui peuvent les amener à se sentir remis en cause. Mais c’est aussi une approche utile pour eux, qui leur permet de s’entraîner à la bienveillance, à la recherche de solutions à partir des besoins et ressentis exprimés, à la vigilance sur la mise en œuvre de solutions collectivement trouvées.
La médiation humaniste amène les managers à réaliser des miroirs bienveillants et sans jugements. A partir de cas concrets de conflits, en travaillant sur les écarts de représentations, sur les accords sur les désaccords, un conflit peut être assaini voire traité. L’effet miroir c’est d’abord l’usage de la première personne, « je sens que » plutôt que le « tu qui tue ». C’est aussi une mise à distance, un questionnement, adressé à l’autre pour qu’il exprime ses émotions.
En entreprise, la technique du world café fonctionne bien aussi : des petits groupes répartis par table, un script par table ; les personnes tournent pour progressivement travailler sur toutes les causes racines de la problématique posée ; Cette technique dépersonnalise les dysfonctionnements et aboutit à une feuille de route « démocratique » venant de la base, proposant des améliorations possibles, présentées à la Direction. Toujours avec l’esprit de la médiation, neutre, impartial. Sans idée préconçue a priori.
L’engagement indispensable des décisionnaires
Médiation ou accompagnements collectifs ne fonctionnent que si la Direction est partie prenante, en capacité d’accompagner des changements de repères et de pratiques. Dans les entreprises où j’interviens, la Direction annonce « nous faisons intervenir une médiatrice pour le mieux vivre ensemble dans l’entreprise ».
Je suis par exemple intervenue sur une plate-forme comptable, dans laquelle les salariés se sentaient physiquement surveillés, comme à l’école, de par la présence sur place de leurs managers intermédiaires, qui ressentaient de leur côté le besoin de justifier en permanence leur présence au sein des locaux. Un dispositif d’entretiens individuels, de médiations entre personnes directement en conflit ainsi qu’un accompagnements collectif a permis de faire émerger petit à petit les attentes et les besoins. Cela a pris du temps. Au bout de 6 mois la direction a réaménagé les bureaux avec un bureau spécifique pour les managers intermédiaires.
J’interviens toujours en co-médiation, en général avec un homme, considérant que la mixité est importante, surtout lorsqu’elle existe aussi du côté des médiés. Avant l’entrée en médiation, un engagement est signé et reprend la clause de confidentialité. En fin de médiation, les médiés nous autorisent à transmettre au commanditaire, souvent DRH, les points qu’ils souhaitent développer et qui ont été abordés dans le cadre de la médiation. La médiation se clôture par un entretien avec le commanditaire notamment pour échanger sur les réponses qui peuvent être apportées aux médiés afin que les attentes exprimées dans l’accord soient bien respectées.
Un suivi de l’accord sur la durée
Le médiateur porte une lourde responsabilité. Faire comprendre au commanditaire qu’il y aura certainement des « choses à entendre », soutenir les salariés, et soutenir en même temps les managers, et, dans ma pratique, s’assurer des suites apportées à l’accord…
Je réalise une évaluation à 3 et 6 mois pour vérifier que ça ne dérape pas, que les décisions prises lors de l’accord en médiation sont mises en œuvre. Par exemple, lorsque les médiés décident de mettre en place un planning pour mieux organiser le travail, mais que concrètement au bout de plusieurs semaines l’action n’est pas réalisée, il faut creuser ; on finit par comprendre que certains salariés résistent parce qu’ils n’ont en fait pas envie de faire savoir ce qu’ils ont à faire ; il faut alors travailler sur la problématique, le bien-fondé, l’efficacité attendue ; mais toujours dans la bienveillance et la neutralité, puisque c’est aux acteurs et non pas au médiateur de trouver les issues - je ne m’interdis pas pour autant de suggérer, verbaliser des propositions si je m’aperçois que personne n’y pense.
Et le Syme ?
J’attends du Syme un rôle de professionnalisation, de cadrage. Aujourd’hui tout est mélangé : conciliateur, négociateur, médiateur. Il est important de considérer la médiation comme un vrai métier, et pas comme une activité bénévole et gratuite.
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