La médiation au cœur de l'entreprise
Un entretien avec Constance Bouruet-Aubertot – médiatrice en entreprise, co-fondatrice de Kairos Médiation . Propos recueillis par Nathalie Mauvieux, médiatrice en entreprise.
Comment définissez-vous la médiation au travail ? A quelles problématiques peut-elle répondre ? Quels en sont les fondamentaux ?
Je conçois la médiation au travail comme un outil au service de tout collectif de travail, qui permet d’apaiser les tensions, de revenir sur des moments qui ont pu poser problème dans la vie des équipes et de parler de ce qui fait difficultés dans le travail au quotidien.
Comment êtes-vous devenue médiatrice, comment s’est déclenchée votre «vocation» ?
Ce terme de vocation fait écho chez moi dans la mesure où je peux dire que j’ai effectivement ressenti comme une sorte d’appel à faire de la médiation dans les entreprises. D’abord avocate en droit du travail pendant 20 ans, puis DRH dans un groupe de communication, je ressentais la nécessité d’accompagner le conflit en entreprise par d’autres voies que le rapport de force. J’étais constamment sollicitée par les managers pour intervenir sur des problèmes relationnels au sein de leurs équipes, mais je me sentais démunie. Ecouter l’un, puis l’autre, et parfois les deux ensemble, ne faisait qu’aggraver les choses, chacun se raidissait dans ses positions. Ou alors on posait des contrats de progrès, des engagements réciproques qui ne se concrétisaient pas. En tant qu’avocate, je constatais que même quand on obtenait de « beaux » résultats (des dommages et intérêts pour le salarié ou au contraire une absence de condamnation pour l’employeur), il manquait quelque chose au client, qui l’exprimait comme une frustration de ne pas avoir été entendu par l’autre. En outre, l’avocat est le porte-parole de son client ; il épouse sa cause. La posture en médiation est très différente puisqu’il faut au contraire se positionner au milieu des protagonistes du conflit. Ma formation au CNAM m’a fait éprouver de l’intérieur ce que faire tiers signifie, accompagner l’un ET l’autre dans un mouvement qui oscille de l’un à l’autre tout en ayant une place propre.
En matière de médiation du travail, quels types d'entreprises ciblez-vous et quels sont vos canaux privilégiés pour entrer en relation ?
Tout collectif de travail peut avoir intérêt à se saisir de la médiation à un moment ou à un autre. Depuis que j’ai démarré cette activité, je suis intervenue dans tous types de collectifs, dans des grands groupes publics comme privés, des PME, ou des collectivités territoriales et dans toutes sortes de domaines : industrie, services, mairie, secteur de l’aide sociale, domaine hospitalier... Je réponds à des appels d’offre et j’ai développé un site Internet.
Qui sont vos commanditaires (au sens de fonction, rôle, positionnement par rapport aux médiés) ?
Mes mandants sont essentiellement des DRH, mais aussi des responsables santé au travail en charge de la Qualité de Vie au Travail. Parfois aussi des CHSCT.
Quelles sont, dans votre pratique, les causes les plus fréquentes d’appel à médiation ?
Dans les médiations réunissant deux personnes, il s’agit régulièrement de plaintes pour harcèlement moral. Cela arrive souvent à l’occasion de l’entretien individuel annuel, avec un collaborateur qui dit de son manager qu’il se sent harcelé. Et inversement. Leur direction se sent démunie, et ne sait pas comment sortir de cette impasse ; il est difficile pour elle de trancher pour l’un ou l’autre avec cette intuition juste qu’il n’y a pas « un » responsable. Dans les médiations collectives, je rencontre des situations souvent très variées. Je pose d’abord la question de la régulation managériale. Souvent les managers disent qu’ils ont essayé mais que cela a été la foire d’empoigne et que personne ne s’écoutait.
Comment préservez-vous votre nécessaire neutralité lors de vos interventions en entreprise ?
Le travail en amont avec le mandant est important. C’est là que je pose ma neutralité et le principe de confidentialité. J’insiste sur le fait que c’est aux parties, et à elles seules, qu’il incombe de convenir ensemble ce qu’elles souhaitent dire de la médiation à ceux qui n’y ont pas participé. Je questionne aussi le mandant sur ce qu’il compte faire si la médiation n’est pas acceptée par les parties. Je vérifie que j’ai une marge de manœuvre et que la demande de médiation n’est pas instrumentalisée.
Pouvez-vous décrire, dans les grandes lignes, votre méthodologie ?
Je suis tout d’abord très attentive à la question du périmètre, qui ne se résume pas forcément aux personnes initialement désignées. Je réalise des entretiens préparatoires, qui permettent déjà un travail par rapport à «l’autre» . Je dis souvent aux personnes en entretien individuel : « vous me parlez à moi mais l’objet de l’entretien n’est pas de me dire ce qui va mal car je ne peux rien en faire, mais c’est de voir comment vous aider à le dire à l’autre. » Dans les médiations collectives, les entretiens individuels prennent beaucoup plus de temps que la médiation en tant que telle. Ensuite, le temps de la médiation collective se déroule généralement sur une journée entière (entrecoupée par des pauses). Cela demande aux participants un investissement important mais cela permet aussi de pénaliser le moins possible la production… J’interviens toujours en médiation collective avec Sylvie Morel, avec laquelle j’ai fondé Kairos Médiation. On se répartit les moments ; ou bien l’une est en « front-office » et anime la rencontre avec l’autre en « back-office », en position d’observation, et ensuite on alterne les rôles ou encore l’une anime tandis que l’autre prend des notes. Après les médiations, nous réalisons un entretien de suivi à 3 ou 4 mois. Nous avons mis en place les entretiens de suivi après avoir constaté que les personnes s’étonnaient que nous ne fassions que « passer », avec le sentiment d’être en quelque sorte « abandonnées » une fois que la démarche de médiation était terminée.
Dans quelle proportion les médiations que vous engagez se traduisent-elles par un accord ?
La plupart des médiations ont abouti à un accord, ou à un écrit réalisé conjointement par les parties avec ce qu’elles souhaitaient en dire à l’extérieur (DRH, CHSCT, managers). Cet écrit peut par exemple consister à faire savoir qu’elles ont décidé de fixer une réunion d’équipe toutes les semaines, ou bien qu’elles ont décidé de prendre le temps de se parler, ou encore de partager ce qu’elles ont vécu en médiation.
Quels ont été pour vous le ou les souvenirs les plus marquants dans le cadre de votre pratique ?
Deux souvenirs m’ont particulièrement marquée : Le premier, lorsque j’ai vu s’opérer « physiquement » pour la première fois la fameuse étape de la « reconnaissance réciproque ». L’une des parties en médiation a ouvert de grands yeux écarquillés quand elle a réalisé l’effet qu’avaient produit sur l’autre des propos qu’elle ne se souvenait même pas d’avoir tenus ! Le deuxième souvenir, c’était lors d’une médiation avec 3 personnes, un manager et 2 adjointes. Une des adjointes est arrivée en retard à la médiation, et décomposée ; puis elle est repartie de la médiation le rose aux joues, toute guillerette, complètement transformée physiquement. Au tour de table de clôture de la séance de Médiation, le mot qu’elle a prononcé a été: « Ouf ! Si j’avais su que la médiation ce n’était que cela, je l’aurais accepté bien plus tôt. »
Plus largement, la prise en compte de la QVT en entreprise suppose de préserver l’équilibre entre la santé et la performance au travail. Comment peut intervenir la médiation dans ce contexte ?
La médiation est au cœur d’une démarche QVT. Elle instaure un espace où les personnes peuvent se parler de leurs conditions de travail. Dans un service médico-social où nous avons réalisé une médiation collective avec des personnes qui ne se parlaient plus pendant les réunions de travail, c’est précisément ce qui a été mis en place à l’issue de la médiation : un espace où se parler régulièrement de leur vie au travail, ce qui est bien différent des réunions de travail axées généralement sur la performance à atteindre et la prise de décision.
Quel rôle du SYME par rapport à la démarche de votre cabinet ?
Beaucoup d’informations erronées circulent aujourd’hui sur la médiation. Le poids et l’assise d’un syndicat, peuvent aider à clarifier et porter les valeurs de la médiation. J’attends aussi beaucoup de la professionnalisation du métier de médiateur. Les acteurs de l’entreprise confondent médiation et audit, médiation et conciliation… Tout le monde pouvant d’ailleurs se déclarer médiateur (…)
Je profite de la question pour rebondir sur la posture des syndicats en entreprise, par rapport à la médiation: la peur d’une perte d’identité s’exprime souvent. Il faut lorsque cela nous est demandé, rencontrer les organisations syndicales pour leur expliquer que la médiation est un temps à part, qui ne vient pas prendre la place des lieux légitimes de décision et de fonctionnement de l’entreprise. Dans certaines entreprises, on peut presque parler d’un travail d’évangélisation à faire pour leur en expliquer les bénéfices.
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