Médiation du travail : synergie avec la performance économique et sociale
Propos recueillis par Nathalie Mauvieux.
Martine Sepiéter est Responsable Qualité relationnelle et médiation à la DRH du Groupe Public Ferroviaire. Elle détaille ci-après son approche de la médiation en Entreprise, et plus particulièrement du dispositif de médiation interne à la SNCF.
La médiation en Entreprise, un espace particulier de communication interpersonnelle
A la SNCF, tout comme dans d’autres entreprises, des difficultés interpersonnelles entre salariés peuvent contraindre la coopération : rupture de communication, allégations de harcèlement, de discrimination, violences parfois, repli sur soi, toutes situations dont on sait que non prises en compte et traitées, elles vont évoluer vers des phénomènes de fermeture progressive à l’autre, de constitution de clans, de rupture de collaboration etc. Le lien avec le bien-être au travail est évident, avec la prévention des RPS également, celui avec la performance économique également encore quand on connait les rouages de l’engagement des salariés.
Dans tous ces cas de figure de conflits interpersonnels, sans bien sûr ignorer d’éventuelles causes autres (organisationnelles, managériales, etc), c’est bien la relation que chacun a avec l’autre qui est en jeu, que cet « autre » soit un collègue ou un manager. Dans ce contexte particulier qu’est l’entreprise, nous savons que cet espace privilégié de communication qu’est la médiation va offrir l’opportunité d’aborder en profondeur, en sécurité et en confidentialité cette question de la relation à l’autre.
Un cadre déontologique et un type de médiation sur lequel être en veille
Une des caractéristiques du domaine de l’entreprise est le contrat de travail avec le lien de subordination qu’il précise entre l’employeur et le salarié. La mise en œuvre des médiations se doit donc de vérifier que dans ce contexte, la déontologie de la médiation est respectée : médiation non imposée aux personnes, respect de la confidentialité des échanges, alternative mobilisée par les acteurs en toute connaissance de cause… Souvent les collaborateurs ou les managers connaissent les médiateurs traitant les réclamations des clients (médiation consommation dans lesquelles un avis est donné par le médiateur). Il y a là clarification à apporter et communication à faire sur le type de médiation qui sera proposée : non pas de type conciliateur, mais de type faciliteur.
La genèse de la Médiation à la SNCF
Martine Sepiéter, qui a fondé le dispositif et l’anime aujourd’hui, a découvert en 2009 la médiation par hasard, se rendant compte qu’elle correspondait à la fois à une aspiration personnelle, et à un besoin potentiel de l’Entreprise. Elle se forme, puis propose au DRH de la SNCF de lancer des expérimentations de médiations dans des situations de tensions interpersonnelles. Dès 2010 le dispositif est co-construit, avec le soutien de la Direction des Ressources Humaines, par un certain nombre d’acteurs RH et de managers ; une attention soutenue est portée sur la déontologie du médiateur et son respect dans un contexte de médiation interne. 2011 marque le début des expérimentations, avec un choix stratégique de politique des petits pas et de preuve par l’exemple. A ce jour, le réseau des médiateurs internes comprend une trentaine de médiateurs intervenant sur l’ensemble du territoire.
Un réseau de médiateurs internes soumis à une sélection et à un dispositif de formation exigeants
Les candidats médiateurs passent par un niveau élevé de prérequis et d’exigences avant d’être formés : il ne suffit pas de vouloir devenir médiateur pour être en capacité de mobiliser les savoir-être et savoir-faire nécessaires en termes de posture, de processus et d’outils. Un processus de sélection interne robuste s’assure des pré-requis nécessaires avant la formation organisée en interne et animée par des médiateurs professionnels reconnus. Cette partie « théorique » est orientée sur les mises en situation en salle. Elle est accompagnée d’un tutorat, et est suivie d’un agrément (assesment médiation et réalisation de co médiations). Il faut environ 2 ans à un médiateur SNCF pour obtenir l’agrément lui permettant de conduire des médiations en autonomie et d’encadrer à son tour des médiateurs en cours de formation.
Ceci aboutit à la constitution d’un réseau de médiateurs SNCF clairement engagés, dont pourtant ce n’est qu’une mission en plus de la leur principale : les médiateurs à la SNCF ne sont pas sur des postes à plein temps : leur manager doit valider le dégagement du médiateur, à hauteur de 10 à 15% de son temps de travail.
Le cheminement de la demande de médiation
En amont de la mise en œuvre d’une médiation, un Référent Médiation - professionnel de l’accompagnement managérial et interlocuteur privilégié des managers et des RH - procède à l’analyse de la demande. Porte d'entrée des demandes d’intervention, les référents médiation peuvent proposer une palette de dispositifs - dont la médiation s’il s’agit selon eux de la réponse adaptée.
Les commanditaires sont majoritairement des directeurs d'entité, ou leurs représentants opérationnels ou RH par délégation. Pour les managers, l’appel à un tiers formé à la médiation, témoigne d’une forme de maturité professionnelle ; dans nos pays latins, le sujet du conflit peut en effet être vécu comme tabou. Il est en outre rarement présent dans les formations initiales, à la différence des pays anglo-saxons.
Les étapes du processus
Après validation d’une proposition de médiation sur une situation donnée par le référent médiation, un binôme de médiateurs rencontre le commanditaire pour un entretien visant les conditions de réussite de mise en place de la médiation : le médiateur accompagne son interlocuteur dans la compréhension fine de la situation, du conflit, dans l’objectivation des régulations qu’il a déjà pu faire ou qu’il pourrait faire si la médiation ne se met pas en place. Cet entretien permet aussi d’expliquer ce qu’est la médiation et la posture du médiateur – et ce qu’elles ne sont pas – , de s’assurer du respect du libre engagement des personnes, et des règles de confidentialité.
Ensuite, des entretiens individuels préparatoires sont organisés par les médiateurs avec les personnes concernées par la situation de tension, et souvent également avec leur manager : les entendre sur la situation, accompagner leur capacité/volonté de rencontre avec l’autre (les autres) personne(s), expliquer la médiation, la déontologie et les règles de fonctionnement qui l’entourent …
Les rencontres effectives des personnes en médiation en présence du médiateur visent la « facilitation » de communication entre les personnes et se basent sur « la roue de Futiak » (quoi, pourquoi, comment, comment finalement). A la fin de la rencontre, les médiateurs font travailler les personnes sur la déconfidentialisation voulue et juste nécessaire, c’est-à-dire sur la communication qu’elles souhaitent – ou non – porter à l’extérieur
Le dispositif de médiation est clôturé par un mail du médiateur au commanditaire, mentionnant les dates de tenue des entretiens individuels et des rencontres en médiation, ainsi que l’existence ou non d’un accord.
Posture et conviction du médiateur
Les médiateurs internes SNCF portent une conviction : les personnes sont en responsabilité dans la situation dans laquelle elles se trouvent et sont capables de trouver ce qui leur convient pour sortir du conflit. C’est cela qui sera opérant pour elles, et non pas une solution plaquée par le médiateur.
Le médiateur a donc confiance dans le processus et dans les personnes, ne cherche pas qui a tort ou raison mais s’attache plutôt à aider les personnes à identifier leurs singularités et différences, ce qui est juste et ce qui fait réparation, pour l’un et pour l’autre.
Les médiations à la SNCF aboutissent à un taux d’accord de 80 à 90% : restauration de la relation professionnelle, voire personnelle, ou alors séparation bien comprise avec identification de ce qui a pu nourrir la situation de tension.
Le travail fait lors des rencontres en médiation sur la communication interpersonnelle est fondamental pour éclairer et clarifier les points de vue et besoins légitimes. La connaissance des biais de communication interpersonnelle, des halos du conflit, du rôle des émotions etc sont essentiels. Pour autant, les expressions du visage des personnes, la communication non verbale, sont évoqués par Martine Sepiéter comme des éléments marquants en médiation. Quand quelque chose se passe, qu’il y a découverte de ce qui a alimenté le conflit, qu’il y a perception du ressenti de l'autre, quand les personnes ont le sentiment d'avoir été entendues, qu’elles aperçoivent des marges de manœuvre dont elles n’avaient pas idée pour traiter la situation… leurs visages parlent, sans parole !
Performance et Médiation
Au final, on en revient tout simplement aux leviers de l’engagement et de la motivation : reconnaissance, prise en compte, qualité de la relation et du fonctionnement mutuel, participation active à l’action, libre décision dans le cadre donné : la synergie entre les caractéristiques de la médiation et la performance économique et sociale est bien là !
Martine Sepiéter estime que le SYME pourrait jouer un rôle sur les deux volets suivants :
- Communiquer, pour mieux les faire connaitre auprès des utilisateurs potentiels, sur les différentes sortes de médiation, allant de la conciliation à la facilitation.
- Promouvoir la médiation en Entreprise, y compris la médiation interne (menée avec déontologie et professionnalisme) contributive à la performance économique et sociale.
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