Le médiateur, facteur d’amélioration relationnelle… et de performance
Propos recueillis par Nathalie Mauvieux, Médiatrice.
Marc Jourdan a exercé différentes responsabilités de cadre supérieur depuis 43 ans à La Poste, principalement dans le domaine des ressources humaines. Titulaire du Diplôme Universitaire de Médiateur - promotion 2016 - délivré par l’IFOMENE, il œuvre depuis trois ans comme médiateur interne à La Poste. Il est formé à la conduite des espaces de discussions sur le travail et certifié comme animateur en co-développement.
Naissance d’une vocation
Je me suis longtemps considéré comme un « harmonisateur des contraires ». Harmoniser l’économique et le social, confronter la vision du management et la posture des organisations syndicales, tout au long de mon parcours de DRH à La Poste, au sein de différentes structures fonctionnelles et opérationnelles. C’est à l’occasion d’une formation courte sur la « médiation et gestion des conflits », que je découvre la médiation et ressens l’envie d’aller plus loin : après l’obtention de mon DU2 je me lance dans la médiation interne à plein temps.
La vocation de médiateur c’est selon moi une affaire de sensibilité personnelle et d’histoire de vie : peut-être même naît on médiateur avant de devenir médiateur, avec un goût inné pour l’apaisement des tensions, la posture médiane, entre deux visions qui s’affrontent. J’interviens sur des problématiques de mal être au travail, souvent liées à des dysfonctionnements organisationnels, managériaux, de communication ; avec en toile de fond des tempéraments qui s’opposent et qui exacerbent des mal être personnels.
Les managers ne sont pas formés à la régulation des tensions interpersonnelles, entraînant des approches parfois maladroites, un traitement du conflit par le mépris ou le « laisser faire », les situations enlisées se régulant rarement toutes seules… Par sa posture de neutralité, de confidentialité et d’impartialité, le tiers médiateur permet à chacune des parties de trouver la solution, par elle-même : Il faut les aider à prendre conscience que la solution leur appartient.
Des médiations inter-individuelles ou collectives, y compris de manière préventive
La Médiation a débuté à La Poste sous un mode « conciliation/arbitrage », s’adressant à des salariés en conflit avec l’institution sur des éléments administratifs; puis progressivement, la médiation s’est imposée, proposée à des salariés en proie à des problématiques de souffrance ou de mal être au travail dans le cadre d’un conflit interpersonnel.
J’interviens à La Poste, à la demande d’un DRH ou d’un manager, dans des médiations interpersonnelles, ou collectives. Parfois à titre préventif, comme par exemple dans cette médiation récente pour 2 bureaux de poste, qui d’abord indépendants se retrouvent affectés à un même secteur avec des organisations du travail mixées. Sans être en conflit ouvert, les agents ne se déplaçaient jusqu’alors jamais d’un bureau à l’autre. Il fallait donc les amener à accepter de « se fréquenter ».
Une méthodologie propre à chaque type de médiation
Dans tous les cas, la médiation débute par un entretien avec le commanditaire pour lui présenter le processus de médiation et lui soumettre une convention d’entrée en médiation .
Une médiation entre deux personnes est souvent précédée de pré-entretiens de clarification sur ce qu’est la médiation avec les personnes concernées, si elles n’ont pas donné formellement leur accord pour entrer dans la démarche. Les participants sont invités à signer la convention de médiation. Les entretiens individuels préparatoires durent de 1h30 à 2h, et sont suivis dans un délai de 8 à 10 jours de une à deux réunions plénières (rarement trois), d’une durée de 3 heures chacune.
A l’issue des réunions, tel un « scribe », je propose d’écrire le relevé d’engagements et de l’adresser par mail, pour leur signature, aux personnes concernées. Les dispositions les plus fréquentes dans les accords relèvent de la communication : prévenir plus rapidement en cas de modification ou d'annulation de réunion, se parler franchement sans attendre, modifier un comportement (la prévenance, le regard qui va avec le bonjour...).
Dans la médiation collective, une fois réalisés les entretiens individuels, ma pratique est aux confluents de la médiation et du conseil : une réunion de restitution au collectif met en évidence les problèmes organisationnels, de communication, et valide point par point avec les participants le bien-fondé d'un diagnostic de leur vécu au travail. Des thèmes de travail sont identifiés et priorisés. Les personnes qui le souhaitent sont alors invitées à participer à une réunion dite « de médiation » plénière, souvent en présence du management. A l’issue des réunions de médiation collectives, un relevé d’engagement acte les décisions prises. Ces réunions collectives sont en fait des espaces de discussion sur le travail réel : parler du travail concret apaise la relation et met en évidence les conflits de valeur qui se traduisent mécaniquement par des difficultés inter-personnelles.
Après la médiation, de nouveaux horizons
Après une médiation, je constate que le climat est généralement apaisé. L’alchimie de la médiation transforme la communication défaillante, en une compréhension mutuelle favorisant l’émergence de solutions novatrices et pérennes. Le manque de considération, le trop plein d’exigences: tout cela se régule dans l’espace de médiation : chacun a mieux compris pourquoi l’autre a agi de cette façon, pourquoi il a parlé de cette façon. Dans les médiations collectives, il se recrée une forme de cohésion et de coopération qui avait disparu.
J’ai vécu des moments assez magiques où les personnes parviennent à dépasser leurs préjugés et perceptions subjectives : par exemple, le grand méchant DRH et le salarié procédurier, vus réciproquement ainsi par l’un et par l’autre, prennent conscience de leurs intérêts communs pour aboutir à une solution mutuellement acceptable, bien au-delà des intérêts purement financiers.
Que dire de la neutralité et de l’indépendance du médiateur interne?
Pour moi la neutralité c’est d’abord « neutraliser sa voix intérieure » en la conscientisant, en repérant le risque de réactions viscérales induisant des jugements et interprétations. Après les entretiens individuels, « on se rend compte que l’oie n’est pas si blanche et le canard pas si vilain », ce qui invite à l’humilité face à la complexité de certaines situations…
La neutralité se vit davantage qu’elle ne se décrète : être en empathie, entendre et à la fois se soustraire de l’histoire de chacun, pour se mettre à sa juste place de médiateur, au milieu, pour l’un comme pour l’autre.
J’ai constaté que la posture de « médiateur interne » éveille des interrogations. Que répondre ? Salarié de La Poste, rémunéré par La Poste, je me sens au moins aussi indépendant qu’un médiateur externe rémunéré par un commanditaire direct au sein du groupe, ce qui n’est pas mon cas. Et la déontologie est la même : aucun lien avec les personnes auprès desquelles j’interviens, sur tout le territoire métropolitain et jusqu’en outre-mer. Il m’est arrivé une seule fois de connaître une des personnes et de refuser la médiation.
La médiation, un « métier » à part entière
Je considère que la médiation est un métier au sens artisanal du terme, qui nécessite de pratiquer, de se remettre en question, d’accepter que les clés opérantes appartiennent aux seules personnes en médiation, et dans tous les cas de rester modeste, humble sur sa pratique.
Beaucoup de jeunes médiateurs sortent de formation initiale chaque année. Dans un effet ciseaux, j’estime qu’à l’heure actuelle, le volume de demandes de médiation n’est pas à même de faire vivre décemment tous les médiateurs par le seul exercice de cette activité.
Pour autant le « marché » potentiel de la médiation est considérable : il faut faire connaître la médiation, mobiliser les prescripteurs ; il faut développer le « réflexe médiation » en expliquant le levier que représente un processus de médiation pour apaiser les conflits, réduire les RPS, l’absentéisme, la souffrance au travail, développer la motivation des collaborateurs .
Le médiateur n’est pas qu’un « philanthrope humaniste ». Mettre des « mots sur des maux » selon l’expression consacrée, permet de passer d’un cercle relationnel délétère à un cercle vertueux, qui favorise la performance à travers l’engagement retrouvé. Engagement qui repose sur les valeurs de chacun, percutées par le conflit puis reconnues et restaurées par la médiation : le respect, la tolérance mutuelle, l’authenticité de la relation pour en citer quelques-unes.
Et le Syme?
Le Syme, comme les associations signataires du Livre Blanc, doit continuer à être porteur de préconisations, et attentif à leur mise en oeuvre, notamment pour ce qui touche à la profession et au statut du médiateur. Il faut aussi qu’il contribue, par ses articles, réflexions, débats d’idées, points de vue, à renforcer cette profession et ses conditions d'exercice.
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