La médiation en entreprise, affirmation d’un modèle
Il existe un modèle propre à la médiation en entreprise. Ce qui n’était encore qu’une hypothèse en 2012 est aujourd’hui une certitude, comme en témoignent les auteurs de l’ouvrage « La médiation en entreprise, affirmation d’un modèle » (éd. Médias & Médiations, septembre 2022, sous la direction de Federica Oudin et Martin Oudin).
Une pratique fidèle à l’essence de la médiation
Au fil des contributions, on retrouve les caractères communs et fondateurs de toute médiation. Quel que soit son champ d’intervention, elle reste toujours « une invitation au mouvement, un consentement à l’action » (Nathalie Mauvieux), une « disposition d’esprit, un regard sur l’Autre et sur la relation (Aurélie Marloie).
On retrouve aussi ce médiateur qui, quel que soit son champ d’intervention, est ce tiers qui « éclaire » (Anne-Christine Bécard), sépare « pour mieux relier » et « objective le labyrinthe de non-dits »-(Nathalie Mauvieux). Il répond ici comme ailleurs à un besoin fondamental et croissant de justice en proposant un lieu d’expression et d’élucidation (Bertrand Delcourt).
Partout, la médiation insuffle une nouvelle culture de la relation et du conflit et transforme durablement le système dans lequel elle intervient. En entreprise, cela est assez frappant tant le système est fait d’interconnexions multiples et de nature variées. Cet effet sur le système est tout particulièrement évident lorsque la médiation a été intégrée durablement dans l’organisation (Michaël Bouvard et Sophie Evrard).
On retrouve enfin ce médiateur qui, dans l’entreprise comme ailleurs, fait dans la phase de pré-médiation un exercice d’équilibriste en tâchant de susciter l’engagement des personnes sans pour autant chercher à les convaincre (Nathalie Mauvieux).
Mais une pratique spécifique
On lira cependant avec attention que certaines caractéristiques de la médiation en entreprise bousculent le modèle de référence. Le conflit en entreprise se déploie dans un environnement qui à la fois alimente ce conflit et subit dans le même temps sa contamination. Le conflit est souvent diffus, non-dit, voire occulté. Oser dire qu’il y a conflit puis nommer ce conflit est souvent la première étape à franchir.
Une fois appelé, le médiateur se doit de discerner si son intervention est pertinente dans la situation qui lui est confiée, notamment lorsque la santé psychique d’une personne est en jeu ou bien encore lorsque des faits de harcèlements sont invoqués (Sylvie Morel). Il est vigilant à ne pas prendre la place des autres acteurs des champs du droit et de la santé mentale et à toujours penser et agir en complémentarité avec eux (Sylvie Morel, Sophie Douguet, Isabelle Rivière, Michaël Bouvard et Sophie Evrard).
Si, en toute indépendance, le médiateur en entreprise a pris la décision d’intervenir, il lui incombe d’identifier le périmètre des personnes concernées par le conflit et sa résolution. La médiation peut être inter-individuelle (deux personnes) ou collective, réunissant cinq, dix, voire davantage, avec différents degrés d’implications (Bernard Burron).
Le médiateur en entreprise considèrera aussi les personnes qui ne sont pas actrices du conflit mais ont un intérêt à son dépassement (pour le CSE, Aurélie Marloie ; pour le psychologue, Emmanuel Gradt ; pour le médecin du travail, Isabelle Rivière ; pour les agents CARSAT, Sophie Douguet ; pour le DRH, Valérie Klépac). Il s’efforce d’instaurer un dialogue avec ces « parties prenantes » et va parfois jusqu’à provoquer une occasion de dialogue entre elles. La création d’une telle relation de confiance et de collaboration est essentielle pour que les effets de la médiation s’intègrent durablement dans le système et ainsi éviter ainsi que la médiation n’apparaisse hors-sol.
Pour ces différentes raisons, le temps de l’avant-médiation est bien plus long pour le médiateur en entreprise que pour le médiateur qui intervient à l’initiative d’un juge ou à une phase pré-judiciaire.
Une fois lancée, la médiation en entreprise a pour objectif premier et parfois unique la transformation de relations de travail dégradées, plus que la recherche d’une solution précise à un conflit circonscrit. Ces relations dégradées concernent souvent des collègues liés par un lien hiérarchique. Elles peuvent aussi relier les acteurs du dialogue social (Sophie Douguet). La présence de rapports de force officiels et institutionnels est en effet une caractéristique importante de la médiation en entreprise. Le médiateur, loin de gommer ces rapports de force au nom d’une impartialité et d’une égalité mal pensées, les intègre comme faisant « partie du jeu » (Anne-Christine Bécard).
Dans cette optique, l’accord de médiation se traduit plus souvent par un relevé de réunion, un plan d’action que par un contrat susceptible d’être porté devant un juge en cas d’inexécution, même si ce dernier cas existe et rapproche dans ce cas la médiation en entreprise d’autres types de médiations (Martin Oudin).
Enfin, parmi les singularités de la médiation en entreprise, on relèvera que le médiateur y a parfois, plus qu’un autre, l’opportunité d’intervenir aussi au stade de la prévention de conflits interpersonnels ou d’équipe (Bertrand Delcourt).
Des principes déontologiques revisités
Ces singularités font naître chez les praticiens un besoin d’ouverture pour explorer d’autres cadres de référence, d’autres disciplines et d’autres techniques (Bernard Burron, Claire Godin, Emmanuel Gradt et Annabelle Fouilloux).
Elles ont aussi fait naître l’interrogation suivante : ces singularités sont-elles si fondamentales qu’elles commandent de revoir certains principes déontologiques et légaux ?
En réponse à cette question, les différents auteurs témoignent qu’il est possible de concilier les principes et la déontologie de la médiation en général avec le modèle de la médiation en entreprise. Bien plus, on découvrira que ce dernier modèle offre aujourd’hui à ces règles déontologiques un éclairage nouveau, éclairage susceptible d’inspirer tous les modèles de médiation (sur la liberté, Nathalie Mauvieux, Sylvie Morel et Isabelle Rivière, sur l’impartialité, Anne-Christine Bécard et Valérie Klépac, sur l’indépendance, Bertrand Delcourt, sur la confidentialité, Emmanuel Gradt, Annabelle Fouilloux, Isabelle Riviere, Claire Godin, sur la neutralité, Emmanuel Gradt, sur l’ensemble de la question, propos de conclusion Federica Oudin).
Federica Oudin, médiatrice en entreprise et universitaire
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