Regards de médiateur.es sur la médiation judiciaire
Le SYME a pris l'initiative de proposer, depuis septembre 2023, un atelier mensuel de partage de pratiques consacré à la médiation judiciaire. Un ensemble de six séances de deux heures chacune a déjà été réalisé, avec un riche partage d’expériences, de bonnes pratiques et de recommandations. Il a réuni une vingtaine de médiateur.es de toute la France, agréé.es auprès des Cours d’appel, seniors comme juniors, exerçant en tous domaines dans les champ de la médiation judiciaire et/ou administrative, et disposant souvent d’une expérience antérieure de juge, prud’homme, juriste, avocat.e, expert.e, enseignant.e ou encore bénévole d'associations. Dans cet article, nous proposons quelques premières réflexions à partir de nos échanges.
Notre démarche
Cet atelier permet d’aborder la médiation judiciaire à travers les regards des médiateur.es, et de mettre en évidence, en partant de situations concrètes, des préoccupations et des aspirations communes dans les rapports avec les acteurs du champ judiciaire, en premier lieu les juges prescripteurs, les avocats, ou encore les experts. Ce domaine encore peu développé est difficile à appréhender en l’absence de données publiques quantitatives et qualitatives. Les regards des médiateur.es témoignent d’une évolution générale positive, mais aussi de lenteurs, d’obstacles et de grandes disparités en fonction du lieu et du champ de la médiation.
L’affirmation d’une volonté politique forte et l’évolution de l’arsenal législatif avec, notamment, le Décret n° 2022-245 du 25 février 2022 « favorisant le recours à la médiation, portant application de la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire et modifiant diverses dispositions », constituent indéniablement des avancées remarquables. Pourtant, on relève un manque d’information sur les évolutions du cadre légal de la médiation. Ce cadre est parfois ignoré des médiateur.es eux-mêmes qui posent les questions suivantes : « quand commence et quand finit le processus de médiation judiciaire ? à partir de quand commencent à courir les délais ? quelle est sa durée légale ? », ou encore « quelle est la différence entre médiation judiciaire et conventionnelle ? quand s’arrête l’une et commence l’autre ? ».
Les déplacements des Ambassadeurs de l’amiable et l’organisation d’une série d’événements dédiés à la médiation dans les Cours d’appel sont appréciés par les médiateur.es, car ils favorisent un dialogue nécessaire. Certain.es sont même consulté.es par les juges et référent.es de manière informelle en amont de la mise en place des dispositifs de médiation face à la difficulté d’organiser ces dispositifs et le manque de concertation pour savoir la manière dont cela se passe ailleurs. D’autres prônent l’exemple de la médiation administrative en ce qu’elle est « idéale du point de vue d'une relation personnelle plus humaine établie entre magistrats, référents et médiateur.es ».
Inscriptions dans les Cours d'appel et accès à la médiation judiciaire
La première préoccupation exprimée par certains médiateur.es est la difficulté d’accéder au dispositif de médiation judiciaire quand bien même ils ou elles sont agréé.es par les Cours d’appel. Satisfaire aux critères de formation de base, de formation continue et d’expérience leur a demandé des efforts et des frais importants. Les médiateur.es comprennent que les critères requis pour être inscrit sur les listes des Cours d’appels visent à assurer la qualité du service public et sont essentiels pour la reconnaissance de la profession. Mais certain.es regrettent de ne jamais être sollicités pour des médiations, au point de se demander « à quoi servent les listes » et si « cela valait la peine de demander une inscription ».
Dans un dispositif de médiation judiciaire où le choix des médiateur.es est à la discrétion des juges, que ce soit parmi les médiateur.es assermentés de la liste ou en dehors, moyennant un serment ad hoc, le sentiment des médiateur.es nouveaux est qu’ils/elles « peinent d’y entrer » faute de transparence ; de ne pas comprendre « quelle est la démarche ? », ou « comment se faire connaître et obtenir des médiations » . Dans les Cours où sont privilégiées les associations et centres de médiations, au détriment des médiateur.es individuels ils ont l’impression d’un « entre-soi ». Ils regrettent aussi que des médiateur.es 'locaux' soient pénalisés par la possibilité pour les centres de médiation d'inscrire à distance des candidats sur plusieurs listes à la fois.
Volume d'activité en médiation judiciaire
Une seconde préoccupation est celle du volume encore très faible de médiations ordonnées qui ne dépassent pas une dizaine par an pour certaines Cours d’appel, quand bien même des dizaines de médiateur.es sont agréé.es dans leurs listes, auxquels s’ajoutent des nouveaux inscrits. Dès lors l’attribution des médiations semble aléatoire : ceux qui avaient la chance d’en avoir peuvent se retrouver sans activité du jour au lendemain. Dans d’autres cas, on observe qu'en dépit d’un certain volume d’affaires orientées par les juges en médiation, et de longues permanences d’information assurées bénévolement par les médiateur.es, rares sont les parties qui entrent effectivement en médiation.
Accès aux justiciables
Une autre préoccupation est liée au « blocage des avocat.es qui ne jouent pas toujours le jeu, et ne se rendent à la réunion d’information sur la médiation que pour la forme et pour respecter l’injonction du juge ». En médiation judiciaire comme en médiation administrative l’accès aux justiciables est souvent difficile. « Il faut batailler pour avoir leurs coordonnées et cela prend un temps excessif d'organiser les réunions ». « Si on laisse du temps aux avocats, il n’y a jamais d’accord signé ». C’est pourquoi il est important que les référents disent « qu’il y a un cadre légal, des délais et qu’on s’y tient ». Quant à l’expertise, lorsqu’elle est ordonnée conjointement à la médiation, elle compromet un processus qui est retardé souvent de plusieurs mois et risque de ne jamais voir le jour.
Information des justiciables et permanences d'information sur la médiation
Les médiateur.es comprennent bien évidemment l'importance d'une rencontre avec les justiciables, pour les écouter et exposer l'intérêt éventuel de la médiation dans leur affaire. Quand l'information directe des justiciables est possible, elle donne des résultats satisfaisants, et peut se conclure dans une partie des cas, par une médiation. Il n'en est pas de même des permanences d’information sur la médiation lors des audiences, qui apparaissent souvent comme excessivement improductives, surtout lorsque les parties ne sont pas toutes présentes mais représentées par leur conseil, et suscitent beaucoup de frustration.
Tarif et paiement de la médiation
Une préoccupation concernant les tarifs de médiation judiciaire est souvent évoquée. Les provisions, pour rémunération du/de la médiateur.e, prévues par les ordonnances peuvent être comprises entre 500 et 1400 € pour deux parties. Dans certaines Cours, des forfaits ont été établis, même si ce n'est pas généralisé. Ces tarifs sont inconnus du public. Le dispositif d’aide juridictionnelle peut couvrir a minima la médiation mais reste inconnu du public et peu exploité.
A cela s’ajoute le problème des impayés. La médiation judiciaire est réputée ouverte à compter du jour où la provision à valoir sur la rémunération du médiateur est versée entre les mains de ce dernier. A défaut de versement intégral de la provision dans le délai prescrit par l’ordonnance, la décision est caduque et l'instance se poursuit. Dans les faits, c'est respecté par les parties lorsque la décision du Juge ordonnant la médiation fixe le montant de cette provision. Dans le cas où l’ordonnance mentionne une réunion d’information gratuite débouchant sur une médiation conventionnelle, il est très difficile d’obtenir une provision avant de commencer la médiation. Nombreux sont les médiateur.es qui organisent la première session plénière sans être payés afin de remplir au mieux la mission confiée par le juge. Il est souvent difficile d'obtenir le paiement.
Un groupe de travail pour la Médiation judiciaire
A la lumière de ces premiers échanges, il apparaît que le développement de la médiation judiciaire nécessite encore de grands efforts « pour assurer la cohérence des dispositifs, rendre ces dispositifs plus lisibles pour le justiciable et donner aux médiateur.es leur juste place ». Il faut des actions importantes « pour amener plus de collectif et changer la donne », et ainsi faciliter le travail des juges tout en établissant une relation de confiance entre juges et médiateur.es.
Poursuivre la réflexion sur ces enjeux, proposer des recommandations et des outils concrets dans ce sens, c'est l’ambition d’un nouveau groupe de travail 'Médiation judiciaire' annoncé lors de l’assemblée générale du SYME le 19 mars 2024. Ce groupe de travail se réunira désormais parallèlement, mais de façon bien coordonnée, avec l'atelier de partage de pratiques de médiation judiciaire, qui reste centré sur sa mission d'analyse collective de situations concrètes, et qui reste ouvert à toutes et tous sur inscription mensuelle.
Le SYME remercie l’ensemble des médiateur.es pour leurs précieuses contributions aux ateliers de partages de pratiques de médiations judiciaire et lance un appel à participation au groupe de travail 'Médiation judiciaire'.
Synthèse élaborée par Catherine Dimitroulias,
politologue, juriste, médiateure près la Cour d’appel de Paris,
secrétaire du SYME, animatrice du partage de pratiques médiation judiciaire
Je rejoins le groupe de travail 'Médiation judiciaire'
Photo : CS Dimitroulias
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