La pandémie va t-elle apporter de nouvelles pratiques de médiation ?
Vous avez pu penser que la médiation était juste impossible pendant cette période de covid19.
Est-ce vraiment le cas ? Qu’en est-il de la pratique des médiateurs ?
Et depuis le 11 mai est-ce différent ?
J’ai interrogé plusieurs collègues sur leur pratique, avant, pendant et après le confinement.
Cet éclairage pourra apporter un soutien pour ceux qui restent encore indécis sur leur possibilité de reprise du travail.
Pour la plupart d’entre nous, mettre en place une médiation est (encore) en présentiel ; recevoir les personnes dans une salle que nous avons aménagée. Le présentiel apporte par une mise en relation, plus conviviale, une plus grande facilité pour déchiffrer le non-verbal des personnes en médiation.
C’est d’ailleurs une des thématiques que nous pouvons voir en formation ; comment les recevoir ? Comment aménager la salle ? Comment se placer ?
Néanmoins du fait de l’éloignement géographique certains médiateurs pouvaient proposer des médiations à distance. Ce qui constituait une part infime de leur activité pour la plus part d’entre eux.
La covid19 est arrivé …. Mardi 17 mars, confinement … arrêt des médiations.
L’impression a été que le virus monopolisait l’attention tant du public que des professionnels; comment organiser cette nouvelle façon de vivre ?
Arrêt sur image : « On vit alors dans le temps présent, le quotidien qui nous accapare. »
Comment travailler avec le covid19 ?
Revoir nos manières de fonctionner ?
La plus part d'entre nous ont été amenés à réfléchir sur comment continuer à travailler du fait de l'impossibilité de pratiquer en présentiel alors que les besoins de médiation restaient bien présents.
Pour une médiatrice exerçant essentiellement en entreprise, celle-ci a proposé la poursuite à distance pour des médiations qui avaient déjà été initiées. Ce qui a été refusé. « J’exerce la médiation essentiellement en entreprise et j’ai eu le sentiment que l’urgence était ailleurs pour les DRH que je connais et ne me suis pas manifestée si ce n’est quelques messages personnels de soutien. Je ne me suis pas sentie toujours en phase avec certaines initiatives de médiateurs communiquant sur les réseaux en prédisant des conflits à venir et proposant leurs services dans ce contexte particulier. »
Pour un autre médiateur, les demandes n’ont pas été forcement au rendez-vous avec l’impression que de toute façon les « bobos » attendraient bien le retour à la normale. Pour les quelques personnes qui l’ont contacté c’était de manière spontanée. Les médiations se sont faites en visioconférence et ont été achevées assez rapidement. C’était pour eux la possibilité pendant ce temps chez eux de régler certains problèmes restés en suspend.
Pour un médiateur en structure conventionnée : « Dans un premier temps, nous nous sommes assurés de pouvoir maintenir ouverte notre ligne téléphonique pour recevoir des appels et assurer l'information de premier niveau sur la médiation. »
Des appels ou des personnes déjà en contact ont demandé d’intervenir sans attendre la fin du confinement, ce qui « nous a encouragés à mettre en place des outils de visioconférence, et à réaliser des entretiens d'information, puis des entretiens individuels en visioconférence. Dans certains cas, nous avons également commencé à tester des entretiens communs. Il est clair que mener un entretien commun à distance suppose des conditions particulières pour la médiation et des compétences spécifiques pour le médiateur. »
Pour une autre médiateur exerçant en médiation familiale essentiellement, « les quelques médiations commencées, juste avant le confinement, sont passées directement en distanciel (visio). Les personnes m’ayant contactée souhaitaient pourvoir initier ou continuer la médiation assez rapidement et ne voulaient pas attendre la fin de cette période. »
Mettre en place des entretiens communs par visio lui a demandé de réfléchir sur l’aspect pratique de ces rendez-vous :
- Quel logiciel choisir ?
- Est-ce que je vais avoir suffisamment de bande passante, de débit ? et chez eux ?
- Comment les personnes vont accéder à cet outil ? Seront-ils d’accord ?
- Prévoir un plan B si cela ne fonctionne pas ?
- Comment placer les personnes par rapport à leur caméra? Une bonne distance et laquelle ?
- Peuvent-ils disposer d’un lieu où ils seront seuls ?
- Comment organiser la parole ?
- Pas de tableaux « paperboard » que mettre à la place ?
- Comment intégrer la visio dans la convention d’entrée en médiation ? Quel terme ? Est-ce nécessaire ?
- Comment recueillir leur accord ?
- Comment se faire payer ?
- Est-ce que l’entretien par visio est différent de celui en présentiel ?
Et la confidentialité dans tout cela ?
Comment la maintenir? Qu’est-ce qui en est fait ? Qu’est-ce qui est de ma parole ?
Peut-on enregistrer ? Empêcher d’enregistrer ? Pouvez-vous être seul dans la pièce ? Et si ce n’est pas possible, comment faire ? Comment s’assurer de l’absence de tiers à proximité ?
Comme vous pouvez le constater, des questions et encore des questions se sont posées. Les réponses sont venues à force de réflexion, de discussion avec les personnes pour aménager la demande de médiation suivant la situation des personnes ou encore avec d’autres collègues médiateurs. Le premier pas est de poser les mots, d’expliquer et de voir avec les personnes ce qui est important pour eux.
Pour l’essentiel des médiateurs interrogés, qu’ils aient mis en place ou non la visio pour continuer à travailler, ces mêmes questions ont vu le jour. Les réponses ont pu être appréhendées seul ou en groupe de réflexion notamment d’analyse de la pratique. Des offres de formations à la médiation à distance ont aussi pu apporter des éléments de réponse.
L’autre outil qui a pu permettre de continuer le travail a été le téléphone, une autre manière de rester en lien, de permettre de rester à l’écoute des personnes précédemment en médiation ou simplement demandant à être écoutées.
Au 11 mai, une différence ?
A l’aube du 11 mai, l’espoir de reprendre le travail en présentiel a été présent tout en pensant à comment mettre en place les mesures sanitaires pour protéger la santé des médiateurs et des personnes en médiation.
Observé avec d’autant plus d’attention par les médiateurs que les tribunaux ont fonctionné au ralenti : Comment se fera la reprise? Est-ce que la médiation sera beaucoup plus utilisée ? Une homologation sera-t-elle possible directement après une médiation ? Est-ce que les personnes vont reprendre rendez-vous ?
Néanmoins avec ce que nous avons appris, tant en médiation en visio que lors de nos réunions à distance, sommes nous en mesure d'exercer différemment? Est-ce la volonté de chacun?
Et cet après apporte t-il une différence dans votre pratique ?
Pour une autre médiatrice exerçant en entreprise « J’ai expérimenté cette semaine des entretiens individuels préparatoires avec des masques et j’ai été plutôt agréablement surprise. Malgré le masque, la perception des émotions est bien présente, grâce à la voix, au regard et à la gestuelle. Cela m’ouvre des portes pour la période à venir pendant laquelle nous risquons de devoir pratiquer encore longtemps les règles de distanciation physique (et non sociales !). »
Pour un autre médiateur, il s’agit d’adapter sa pratique à ce temps présent tout en travaillant car pour beaucoup de médiateurs installés en libéral, il n’y a pas eu de chômage partiel, donc reprendre le travail est primordial. Alors de quelle façon ? « Est-ce de proposer plus de médiation en visio ? Comment en présentiel préserver l’équilibre entre la protection des personnes de la Covid19 et la possibilité de s’exprimer librement ? … »
Une médiateure exerçant en familiale, penche pour un développement de la visio tout en pensant à adapter sa pratique en présentiel aux obligations liées à la Covid19 en intégrant le masque pour tous ou une visière, des gants, une distance de 1.5 m à 2 mètres et bien entendu proposer du gel hydroalcoolique.
Encore pour une autre médiatrice, elle utilise un masque associé à une visière. Pour les personnes qui viennent en médiation, nettoyage des mains au gel hydroalcoolique à l’entrée dans le cabinet, emploi systématique de sur-chaussures, arrivée à l’heure car la salle d’attente est condamnée. Ils doivent apporter leur masque, visière s’ils en veulent, leur stylo et papier. L’entretien est beaucoup plus fatiguant ainsi et dure moins longtemps.
Pour d’autres, il s’agit suivant la région d’adapter aussi :
• Ses horaires pour permettre aux personnes de ne pas être dans les transports aux heures de pointes ;
• Son accueil, plus possible de serrer les mains, de proposer une boisson ;
• La gestion de sa salle d’attente, des toilettes ;
• Disposer d’une salle suffisamment grande pour maintenir la distance physique ;
• Le placement dans la salle, le mobilier pouvant être nettoyé, désinfecté ;
• Prévoir du matériel lié aux gestes de prévention, le trouver, l’intégrer dans son budget de fonctionnement ;
• Apprendre à « vivre » avec le masque, parler pendant quelques heures ;
• Poser du temps entre les rendez-vous pour nettoyer, désinfecter, aérer la salle ;
• Informer les personnes des procédures mises en place (dans la convention ou un message avant le rendez-vous) ;
• Obtenir le consentement des personnes quant à l’option choisie de réception du public.
Est-ce que le port du masque impacte l’échange ?
Pour certains, le masque pose un anonymat partiel sur les personnes, rend plus difficile l’observation de la résonance de nos propos sur les traits de l’autre. Plus de la moitié des informations du visage deviennent invisibles. La communication non verbale qui se traduit par des gestes, des postures, est là obscurcie. Le masque brouille l’interaction dans les relations sociales même si il est tout à fait légitime et nécessaire aujourd’hui.
Comment fonctionner alors avec ce masque ? Se centrer sur les gestes, regarder plus les yeux...
Une autre solution pour se voir, utilisation de visière, pour d’autres une vitre de protection en plexiglas (le tout à désinfecter après chaque usage).
Que faire si les personnes ne le veulent pas ? Doit-on refuser la médiation ? Comment ?
Comment mettre en place la distance physique ?
Pour une médiateure, la distance physique, elle va la concrétiser avec une table, ce qu’elle ne faisait pas avant. Là une table suffisamment large, gêne l’allant des personnes à aller vers l’autre.
D’autres ont opté pour une autre gestion de l’espace dans une salle très grande, mettre des marquages au sol ou encore d’utiliser son jardin (espace ouvert, néanmoins selon le vent la distance de sécurité peut être augmentée).
La visio, un intérêt dans votre travail ?
Beaucoup se posent des questions sur l’utilisation de la visio, ne l’ayant pas expérimentée pendant le confinement ou n’étant pas convaincus, voire réticents. Il en ressort un questionnement, un doute et une mise en perspective par rapport à la pratique en présentiel.
La réticence peut aussi venir du côté des personnes qui veulent mettre en place une médiation ; il peut s'agit tout d'abord d'explorer leurs ressentis, leurs croyances… Que disent-ils ? Comment construire avec eux l’offre de médiation ?
Pour d’autres, ce sera une option à utiliser et à proposer de façon certaine. Cela apporterait une souplesse, une organisation plus simple sans se poser de question de gestion de la salle, ni de mise en place de gestes de prévention.
Pour un médiateur en structure conventionnée « Nous avons au contraire constaté qu'il permet une organisation plus souple et plus légère pour les entretiens d'information et les entretiens individuels, qui représentent une part significative de notre activité. Nous devons donc intégrer davantage cet outil dans notre pratique quotidienne. »
Une réflexion sur cette pratique en visio sur :
• Les conditions d'emploi face à des personnes inconfortables avec la technologie, et/ou bénéficiant d'une faible connexion ;
• Le potentiel et le domaine d'application de la visioconférence ;
• Les précautions d'emploi, notamment liées à la sécurité et à la confidentialité ;
• Les compétences qu'elle suppose de la part du médiateur ;
• La préparation en amont des supports pour la médiation ;
• Une réflexion sur l’adaptation des documents (convention d’entrée en médiation, courriels, affiche…).
Qu’en est-il de la responsabilité du médiateur dans l’accueil des personnes ?
Son activité expose celui-ci à être responsable sur ses biens personnels, des erreurs éventuelles qu’il peut faire dans son activité professionnelle.
Qu’en est-il de sa responsabilité vis-à-vis de la Covid19 ? Va-t-elle au-delà de mettre en place les gestes de préventions liés aux mesures sanitaires ?
Une autre vision de notre métier?
Pour conclure, j'ai pu constater que pour les professionnels que nous sommes la clarification faite par l'échange entre pairs apporte un éclairage sur ses propres possibilités. Ce qui permet à chacun de s’organiser, de faire preuve de créativité nécessaire sur ce terrain là aussi.
L'autre clarification nécessaire est celle vers les personnes, souhaitant une médiation : en expliquant en amont, aux personnes, quels choix ils ont posés dans cette période.
Pour finir, il m’est apparu qu’il y a autant de réponse à la reprise du travail que de médiateurs. Pour la plupart, cette reprise est essentielle pour leur survie économique tout en préservant l’accueil des personnes avec la mise en œuvre des mesures sanitaires. Chacun fait son choix suivant ses compétences, ses croyances, son local, ses appétences techniques et le public avec lequel il sera amené à travailler. Il n’y aura certainement pas un choix déterminé mais bien des possibilités vers lesquelles le médiateur, en tant que professionnel, aura à se saisir pour affiner son offre. Il appartient donc à chacun de déplacer prudemment le curseur entre présentiel et distanciel, dans des proportions variables selon chaque cas de figure.
Propos recueillis par Laurence Hanin-Jamot, qui remercie tous les médiateurs qui ont accepté de partager leurs expériences. Photos Pixabay
De la discussion jaillit la lumière.
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