Une médiation familiale dans une situation de violence intrafamiliale
Tribune libre
La loi française indique clairement que le juge ne peut ordonner une médiation familiale dans des situations de violences intrafamiliales ou d'emprise. Mais les médiateurs familiaux peuvent être confrontés à des situations où un enfant est privé de toute relation avec un de ses parents, parce que les parents n'ont plus aucune possibilité de s’entendre sur les visites. Doivent ils considérer que toute médiation familiale leur est interdite, alors que ce n'est pas ce que dit la loi ? Quelle est l'attitude appropriée dans l'intérêt supérieur de l'enfant ?
Dans le présent article, je propose une réflexion autour d’un cas pratique de médiation familiale que j'ai menée dans une situation de violences intrafamiliales…
Rappel de ce que dit la Loi
Art 5 de la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales : modifie l'article 255 du Code civil.
Art 255 du Code civil :
Le juge peut notamment :
1° Proposer aux époux une mesure de médiation, sauf si des violences sont alléguées par l'un des époux sur l'autre époux ou sur l'enfant, ou sauf emprise manifeste de l'un des époux sur son conjoint, et, après avoir recueilli leur accord, désigner un médiateur familial pour y procéder ;
2° Enjoindre aux époux, sauf si des violences sont alléguées par l'un des époux sur l'autre époux ou sur l'enfant, ou sauf emprise manifeste de l'un des époux sur son conjoint, de rencontrer un médiateur familial qui les informera sur l'objet et le déroulement de la médiation ;
Art 373-2-10 du Code civil :
A l'effet de faciliter la recherche par les parents d'un exercice consensuel de l'autorité parentale, le juge peut leur proposer une mesure de médiation, sauf si des violences sont alléguées par l'un des parents sur l'autre parent ou sur l'enfant, ou sauf emprise manifeste de l'un des parents sur l'autre parent, et, après avoir recueilli leur accord, désigner un médiateur familial pour y procéder, y compris dans la décision statuant définitivement sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale.
Il peut de même leur enjoindre, sauf si des violences sont alléguées par l'un des parents sur l'autre parent ou sur l'enfant, ou sauf emprise manifeste de l'un des parents sur l'autre parent, de rencontrer un médiateur familial qui les informera sur l'objet et le déroulement de cette mesure.
Art 41-1 du Code de procédure pénale :
5° Faire procéder, à la demande ou avec l'accord de la victime, à une mission de médiation entre l'auteur des faits et la victime. En cas de réussite de la médiation, le procureur de la République ou le médiateur du procureur de la République en dresse procès-verbal, qui est signé par lui-même et par les parties, et dont une copie leur est remise.
Décret n° 2023-914 du 2 octobre 2023 modifiant le code de procédure civile Art. 1189-1 :
La médiation familiale ordonnée par le juge des enfants en application de l'article 375-4-1 du code civil a pour objet d'aider les parents à mettre fin à leur conflit concourant à la situation de danger pour l'enfant. Le médiateur familial désigné par le juge doit être titulaire du diplôme d'Etat mentionné à l'article R. 451-66 du code de l'action sociale et des familles ou, à défaut, justifier d'une formation à la pratique de la médiation relative au conflit parental emportant danger pour l'enfant.
Une étude de cas : un processus de médiation familiale dans une situation de violences intrafamiliales.
L'entretien d'information sur la médiation familiale
Dans un premier temps, Madame appelle et demande à faire une médiation familiale avec le père de ses quatre enfants. Un rendez-vous d’entretien individuel d’information (gratuit et d’une durée de 45 mn) est fixé pour le lendemain. Je reçois Madame et elle m’apprend qu’elle est « une femme battue depuis dix ans » et qu’elle a « fui le domicile familial parce que la dernière fois que Monsieur m’a battue, j’ai cru que j’allais mourir ». « j’ai supporté toutes ces années à cause de mes enfants… » ajoute-t-elle.
En ma qualité de médiateure familiale, je lui fournis l’information sur la médiation familiale : son cadre, son déroulement, son coût, dans quels domaines peut-elle être appliquée et les règles de déontologie auxquelles le médiateur est soumis dans le cadre de ses missions…
Je reviens ensuite sur les faits de violences intrafamiliales et lui déclare que la médiation familiale ne peut encore être mise en place. Je l’oriente vers le Centre d'information sur les droits des femmes et des familles (CDIFF) où elle peut trouver de l’aide pour déposer plainte.
Les entretiens préparatoires
➢ Entretien avec Madame
Trois semaines plus tard, Madame revient me voir après avoir repris rendez-vous. Je constate qu’elle va mieux. Elle m’informe qu’elle a été voir un avocat et qu’elle a porté plainte contre son ancien compagnon, le père de ses enfants. Elle dit faire partie d’un groupe de paroles pour parents victimes des violences de couple et que ses enfants sont suivis par des psychologues.
Elle m’informe que ses enfants souffrent de ne plus voir leur père, conséquence de la séparation des parents. Elle dit « je me souviens des informations que vous m’aviez données lors de l’entretien individuel, mais je réitère ma demande de mise en place d’une médiation familiale, pour organiser les visites des enfants chez leur père. ».
N’étant pas certaine de la possibilité de la mise en place d’une telle médiation, je lui dis que les conditions suivantes semblent nécessaires pour aller dans ce sens
- Les avocats respectifs des deux parties prennent part à la médiation ; s’ils sont d’accord, j’attends leurs appels pour voir comment nous pourrons travailler à cet effet
- Il n’y aura pas de séances communes des deux parents pour respecter la loi dans le contexte de violences intrafamiliales
- Toutes les communications et les propositions entre parents durant la médiation se feront par le biais de leurs avocats
- Aucune décision ne sera prise sans consultation préalable des parents auprès de leurs conseils
- Les parents doivent également s’assurer de l’accord des professionnels qui assurent leur suivi psychologique pour la mise en place d’une médiation familiale suite à leur demande.
Après avoir présenté ces conditions, je renvoie Madame à son avocat. En cas d'accord de Monsieur et des deux avocats, j'aurai une réunion commune de travail avec les deux avocats, et les parents seront informés de la mise en place de la médiation familiale par leurs avocats.
Je souhaitais aussi avoir un échange avec les psychologues pour coordonner nos actions auprès des membres de cette famille qui exprimaient leur souffrance (qui engendre souvent chez les victimes, la culpabilité, les conflits de loyautés, l’acceptation de l’emprise…).
➢ Entretien avec les avocats
Deux semaines plus tard, j'organise une réunion de travail préparatoire d’une heure, en visio, avec les deux avocats pour la mise en place de cette médiation familiale. Chacun des participants expose aux uns et aux autres quelle sera sa participation comme professionnel, ressource et encadrant… Une date du début du processus est décidée. Les avocats s’engagent à préparer avec les parents leurs premières séances individuelles de médiation familiale ; les parents avaient chacun rendez-vous dans la semaine avec leurs conseils.
Au cours de cette réunion, j’ai remarqué l’attention avec laquelle chacun écoutait les autres. Nous nous respections réciproquement. Pour moi ce moment fût un moment de convivialité professionnelle dont la base était la reconnaissance de la compétence de chaque professionnel dans son domaine et sa fonction.
Nous n’avions nullement besoin d’être convaincus du bien fondé de cette médiation familiale, sachant que cette médiation familiale était motivée par l’intérêt supérieur de quatre enfants, adultes en devenir…
La médiation familiale
Le processus de médiation familiale dans cette situation de violences intrafamiliales se met en place sous la forme d’une médiation navette. Je rencontre les parents tous les quinze jours, la même semaine mais à des jours différents. Les avocats peuvent ainsi faciliter la communication entre les parents sans que cela ne vienne interrompre le cours des opérations judiciaires : procédures judiciaires civile (JAF) et pénale (procureur).
Au bout de deux mois de médiation familiale navette, et quatre séances individuelles par parent, le papa demande à fêter l’anniversaire de l’un des quatre enfants chez leur oncle paternel. Son avocat transmet cette demande à l’avocat de la maman. Cette question est abordée lors des séances individuelles de médiation familiale. L’organisation est traitée de façon détaillée : qui fait quoi ? à quel moment ? qui est responsable de quoi ? La sécurité des enfants est le souci principal des deux avocats et de la médiateure que je suis.
Les deux parents sont d'accord sur l’organisation de cet anniversaire chez l’oncle paternel… Suite à ce premier point d’accord entre les deux parents, les avocats respectifs rédigent un mini accord parental et demandent à leurs clients de venir le signer avant la date de l'évènement. Pour respecter l’injonction d’éloignement, une tante maternelle accepte de venir chercher les enfants le vendredi soir et les ramener dimanche soir chez la maman. Depuis la séparation des parents, les enfants avaient pu parler à leur papa au téléphone, mais ils ne l’avaient pas vu…
J’étais consciente de la fragilité de ce début de restauration des liens parentaux paternels. Mon rôle de médiateure familiale n’est pas de faire à la place des parents ; il est de rendre les parents acteurs et responsables de leurs enfants. Ils ont des compétences… à moi de m'appuyer dessus.
Après l’organisation de cet anniversaire, les parents reprennent leurs séances individuelles de médiation familiale avec moi, après consultation chez leurs psychologues respectifs… Au terme du processus de médiation familiale, les parents sont arrivés à s’accorder sur tous les points qui concernent l’exercice conjoint de l’autorité parentale. Les accords parentaux définitifs furent rédigés par leurs avocats et homologués par le JAF lors de l’audience judiciaire civile. Le papa des enfants fut condamné au pénal avec injonction de suivi psychologique et port du bracelet électronique pour la durée de sa condamnation.
Lors de notre réunion de clôture entre professionnels, j'ai la surprise d'apprendre que le papa des enfants avait écrit une lettre d’excuses à la maman, via son avocat. Il a pu intégrer un groupe de parole pour apprendre à exprimer ses émotions sans débordement, avec des mots et non avec des coups.
Au cours de cette médiation familiale, je note enfin que grâce à la convivialité professionnelle entre avocats, psychologues et médiateure familiale, les parents ont pu co construire une nouvelle organisation de la vie de leurs quatre enfants, dans l’intérêt supérieur de ces enfants, au-delà de la séparation des parents liée aux violences intrafamiliales.
En conclusion
La loi qui interdit au juge de prescrire la médiation familiale dans les situations de violences intrafamiliales ou d'emprise, est justifiée par la nécessité d’éviter que la médiation constitue une nouvelle occasion d’exercer l'emprise ou la violence. De mon point de vue, sous réserve que l'action pénale soit en cours et que ce soit à la demande ou avec l'accord de la victime, le médiateur dispose de solutions pour que la médiation familiale ne soit pas instrumentalisée par le responsable des violences ou de l'emprise. Il a alors la possibilité d'agir pour éviter que les enfants ne soient des victimes collatérales des situations de violences intrafamiliales. C’est ce qui m’a motivée dans cette action visant à répondre à la demande de cette maman de quatre enfants qui, légitimement, souhaitait, malgré la situation de violences intrafamiliales, trouver une solution pour le bien de ses enfants.
Dans ces situations sensibles, le médiateur familial ne peut prétendre exercer seul. Pour moi, ces situations nécessitent un regard systémique et une prise en charge globale. La médiation familiale étant basée sur l’adhésion volontaire des personnes, il me paraît nécessaire de souligner complémentairement l’importance de l’adhésion des professionnels, et même d’une bonne convivialité professionnelle. Dans la situation que je rapporte, il a fallu l'adhésion et tous les efforts des intervenants des institutions (CDIFF, Association de Contrôle Judiciaire et de Médiation ACJM, Commissariat de Police, etc.), des institutions judiciaires civiles et pénales, des avocats, psychologues et de la médiateure pour accompagner efficacement cette famille.
Toutes les actions, menées dans le respect et la reconnaissance des compétences de chacun dans son domaine d’intervention ont permis de mener à bien une médiation familiale, dans l’intérêt supérieur des enfants et pour leur bien-être, dans cette situation de violences intrafamiliales.
Je serai heureuse de confronter cette expérience avec celle d'autres médiateurs familiaux, afin de dégager ou d'affiner les principes d'actions utiles à des situations comparables.
Marie Boudinet
Cabinet de médiation AAA
(Accompagnement et aide aux accords)
m.boudinet@orange.fr
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