Médiation familiale, un futur prometteur ?
En ce début d’année 2020, les perspectives de la Médiation familiale apparaissent sous un jour favorable. Nous nous proposons d'expliquer pourquoi, et de proposer quelques actions qui nous semblent adaptées à ce contexte. Pour ce faire, nous nous appuierons en premier lieu sur :
- le texte de la loi n° 2019-222 du 23/03/2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice
- l’Avis de la Commission des Lois (Assemblée nationale n°2306 - 10/10/2019) pour le PLF Justice pour 2020, dont le rapporteur est le député Dimitri Houbron
La Loi 2019-222 favorise le recours à la médiation et modifie en profondeur la procédure de divorce. Quant à l’avis de la Commission des Lois, il comporte un important chapitre consacré à la médiation familiale, avec d’éclairantes statistiques mises pour la première fois à la disposition du public.
Nous conclurons cette analyse en proposant la mise en place d'une convention collective des médiateurs familiaux, et la clarification du modèle économique de la médiation familiale pour notre pays.
Les éléments phares de la Loi 2019-222 en matière familiale
En premier lieu désormais, « le juge peut, en tout état d’une procédure, y compris en référé, lorsqu’il estime qu’une résolution amiable du litige est possible, s’il n’a pas recueilli l’accord des parties, leur enjoindre de rencontrer un médiateur qu’il désigne. (Loi 2019-222 art 3). »
Par ailleurs, ainsi que le note l’article des Editions Francis Lefebvre du 28/05/2019, « la suppression de la phase de conciliation est la mesure phare de la nouvelle réforme du divorce. » La nouvelle procédure entrera en vigueur le 1er septembre 2020, comme le précise le décret n° 2019-1380, publié le 19 décembre 2019.
De plus, dans la procédure de divorce, « la demande introductive d'instance comporte le rappel des dispositions relatives à (1) la médiation en matière familiale et à la procédure participative ; (2) l'homologation des accords partiels ou complets des parties sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale et les conséquences du divorce. Elle comporte également, à peine d'irrecevabilité, une proposition de règlement des intérêts pécuniaires et patrimoniaux des époux (C. civ. art. 252). »
La réforme supprime la requête en divorce et sa tentative de conciliation. Elle institue une unique assignation en divorce. Dans ce contexte, et afin que leur demande puisse être examinée par le juge, les personnes indiquent d'emblée les accords obtenus tant en vue de l'exercice de la parentalité que ceux relatifs aux aspects économiques et patrimoniaux du divorce. Ces accords peuvent résulter d’une démarche de médiation ou d’une procédure participative. Cette loi offre donc aux juges aux affaires familiales la possibilité d’exiger une démarche de résolution amiable dans toute affaire de divorce. Elle peut même le faire de façon progressive, en insistant de plus en plus sur la mise en place de cette démarche.
Pour 2018, le nombre d’affaires traitées par an, selon les statistiques du Ministère de la justice, sont les suivantes : demandes de divorces 95.000, demandes de parents non mariés dans les ruptures familiales 124.000 et demandes post divorce 48.000. Le total de ces trois types d’affaires portées devant les Juges aux affaires familiales est donc 267.000 par an. À terme, cette loi est donc susceptible de générer un volume annuel équivalent d'affaires de médiation familiale.
Quelques extraits de l’avis parlementaire portant sur la médiation familiale
Cet avis concerne l’ensemble de la Loi 2019-222, mais consacre une longue partie à la Médiation familiale. Dans ce domaine, cet avis présente les variations annuelles comparées des affaires de médiation familiale et de l’ensemble des affaires soumises aux JAF.
Ce tableau 1 ci-dessus (page 18 de l’avis parlementaire) montre une croissance continue des affaires familiales traitées par les médiateurs à hauteur de 25.000 par an en 2019, alors que le nombre d’affaires soumises aux JAF (environ 300.000 par an) a connu entre 2016 et 2017 une décroissance sensible sous l’effet de la réforme du divorce par consentement mutuel notamment. « Bien que la médiation familiale représente encore une faible part des affaires familiales (un peu moins de 8 %, dont 3 % pour la médiation judiciaire), elle connaît, dans sa dimension conventionnelle, un développement soutenu et régulier depuis plusieurs années, et, dans sa dimension judiciaire, une forte progression sous l’effet de l’expérimentation de la tentative de médiation familiale préalable obligatoire. »
Ce premier tableau nous semble légèrement incomplet. En effet, le chiffre des médiations (les trois premières lignes du tableau) est celui qui est publié par la CNAF dans son Atlas annuel, et ce chiffre inclut des médiations qui ne concernent pas la Justice, telles que des médiations non homologuées, des médiations de couple, parent adolescent ou intergénérationnelles. A l’inverse, les chiffres de la CNAF excluent l’activité de médiation familiale libérale.
Le tableau 2 ci-dessus (page 32) montre que le dispositif de médiation familiale français revient globalement à 33.2 M€ en 2018, soit environ 1400 € par médiation, dont 70% sont financés par les CAF ou la CNAF et 7% par le Ministère de la Justice. Là encore, ce tableau nous semble incomplet, car la source CNAF ignore les chiffres de médiation familiale libérale. Il s’agit donc du tableau du financement de la médiation familiale conventionnée, et non de l’ensemble de la médiation familiale.
Le rédacteur note par ailleurs (page 37) : « Quant aux modalités d’exercice de la profession de médiateur, les textes précisent simplement que le médiateur accomplit sa mission avec impartialité, compétence et diligence. Il ressort de ces dispositions que la possibilité de se prévaloir de la qualité de médiateur est largement ouverte. »… « Il apparaît donc nécessaire de définir un statut pour les médiateurs familiaux, afin de leur conférer une véritable reconnaissance juridique, d’asseoir leur légitimité et de renforcer les garanties offertes aux parties. »
En conclusion, le rédacteur propose dans son avis un ensemble de 19 mesures, qui portent sur :
- la prolongation de la durée d'expérimentation de la TMFPO, qui a fait l'objet d'un amendement, validé au Parlement le 22/10/2019
- d'autres modalités d'information du public et d'encouragement à la médiation familiale par la Justice
- de nouvelles modalités de financement de la médiation familiale, et la révision du barème de la CNAF
- la formation et le statut des médiateurs familiaux, et la sensibilisation des juges et des avocats à la médiation familiale
- des mesures incitatives à la médiation familiale à destination des avocats
Nous reviendrons ci-après sur certaines de ces propositions. Observons que lors de la réunion de la Commission des Lois le 22 octobre 2019, Mme Belloubet, Garde des sceaux, déclare « Vous avez également fait une série de propositions très précises, souhaitant notamment étendre la médiation familiale, sauf en cas de violences intraconjugales. Toutes ces propositions méritent d’être étudiées. Certaines sont, en l’état, tout à fait intéressantes ; d’autres mériteraient peut-être que l’on y réfléchisse davantage… » (page 57).
Un premier niveau d’analyse de ces éléments
De ce qui précède, il ressort que la Justice est en train de renforcer son évolution en faveur de la médiation familiale. Les médiateurs, qui depuis 30 ans, construisent leur pratique dans un souci permanent d’éthique, de qualité et d’efficacité, ne peuvent que se réjouir que leurs efforts soient ainsi reconnus. Il reste que cette évolution a aussi de quoi alerter, si l’on met en regard les volumes d’affaires mentionnés pour la médiation familiale (23 597 affaires en 2018) et le potentiel d'actions amiables dans le cadre des affaires de divorce, de séparation et de demandes post-divorce, dont le total était de 267 000 en 2018. Dans l’hypothèse où 50% de ces affaires seraient traitées en médiation, et en fonction d'un coût de l’ordre de 1400 € observé aujourd'hui par médiation, le budget de la médiation familiale atteindrait 185 M€, à comparer aux 33 M€ actuels. Avec les mêmes hypothèses, le nombre d’équivalent temps plein de médiateurs familiaux passerait de 400 à 2250… Ces chiffres sont donc très ambitieux, en regard des budgets et des effectifs actuels de la médiation familiale.
Le dispositif français actuel de médiation familiale peut-il répondre à un tel besoin ? Hélas, cela semble également difficile, et cela le restera tant que le statut des médiateurs familiaux et l’économie de la médiation familiale n'auront pas été adaptés de façon satisfaisante à des besoins aussi importants.
Ces points justifient logiquement les propositions 9, 10 et 12 de l’avis parlementaire, relatives à la révision du barème national des participations familiales, à de nouvelles modalités de financement de la médiation familiale, et au statut du médiateur familial. Sur ces propositions, en plus de la Justice, il faut également que soit impliquée la CNAF, qui est aujourd'hui le principal partenaire de la médiation familiale.
La France a la chance de disposer d'un excellent diplôme d’état de médiateur familial. Ce diplôme constitue une fondation solide pour la profession et le statut du médiateur familial, même si cela reste à préciser dans les textes réglementaires. La profession de médiateur familial est aujourd'hui exercée selon deux modalités, en emploi salarié dans des structures généralement conventionnées par la CAF, et en libéral.
Les médiateurs salariés ne disposent d'aucune convention collective, ce qui réduit l'attractivité de leur profession et précarise leur quotidien. Ne devient-il pas urgent d'agir pour que cette convention collective voie rapidement le jour ?
Quant aux médiateurs libéraux, leur activité est notamment pénalisée par le faible niveau des prix du barème national de la médiation familiale effectué en structure conventionnée, ou par l’absence d'un financement qui compense ce handicap. Cette situation leur permet difficilement de développer leur activité en offrant une prestation au niveau de qualité qu'ils estiment nécessaire. Réfléchir sur tout le modèle économique de la médiation familiale serait un commencement.
Voici quelques pistes pour avancer sur ces deux propositions...
Une convention collective pour les médiateurs familiaux exerçant comme salariés
Qu'est-ce qu'une convention collective ? C'est un texte définissant notamment :
- Les conditions relatives à l’embauche, au licenciement, au départ en retraite,
- Les conditions relatives à la durée de travail, aux congés, à la maladie et aux accidents de travail,
- Les grilles de rémunération, d’ancienneté, d'indemnités éventuelles,
- Les régimes de prévoyance et de retraite.
Ce texte doit être établi en concertation entre des représentants des employeurs, des représentants des salariés, et les institutions concernées par cette profession. Il est clair que sa mise au point donnera lieu à de longs échanges. Raison de plus pour démarrer sans tarder une large concertation autour de ce texte, concertation dont le SYME, Syndicat professionnel des médiateurs, sera activement partie prenante.
Une clarification du modèle économique de la médiation familiale
Le financement de la médiation familiale telle qu'elle ressort clairement du tableau 2 ci-dessus, est à plus de 80% aujourd'hui supporté par l'Etat et les collectivités territoriales. Cette situation résulte du légitime principe consistant à mettre la médiation familiale à la portée de tous, même les plus démunis, la médiation familiale étant avant tout, et devant rester, au service des familles, de la parentalité et de l’intérêt de l’enfant.
Le Ministère de la Justice a eu récemment l’occasion de souligner que la médiation est « une activité de prestation de service exercée librement et soumise à la libre concurrence, en application de la liberté d'entreprendre. » Il est permis de se questionner sur ces principes puisque certains JAF refusent encore de travailler avec les médiateurs familiaux libéraux et que ces derniers n’ont aucun moyen de concurrencer les tarifs proposés en structure conventionnée.
Dans le cadre du changement de volume d'activité qu’entraînerait, dans les affaires familiales, un recours accru à la médiation, et a fortiori sa généralisation, un travail semble donc nécessaire, pour déterminer :
- Quelle proportion du budget de la médiation familiale doit être financée par les institutions (et lesquelles), par les usagers, voire par des assurances, la protection juridique ou autre source de financement privée
- Quel barème national permettra le développement optimal des différentes modalités d'exercice de la médiation familiale ?
- Quel dispositif doit être mis en place pour permettre aux structures libérales de contribuer efficacement à l'activité nationale de médiation familiale ?
Conclusion
Dans la présente analyse, nous nous sommes attachés à identifier les importantes conséquences, pour la médiation familiale, des options prises par la Justice dans la Loi 2019-222, et en particulier les dispositions sur le divorce. L’enjeu de ces évolutions nous semble d’offrir aux familles davantage d’opportunités de régler leurs conflits de façon amiable plutôt que par le contentieux, ce qui est favorable à une parentalité plus harmonieuse et bénéficie largement aux enfants. Cette Loi pourrait rapidement nécessiter la multiplication des emplois de médiateurs familiaux, et en conséquence, celle des dépenses de médiation familiale.
Il nous semble donc important de réfléchir rapidement aux moyens de mobiliser tous les professionnels ayant les qualifications et les compétences requises, en leur offrant un cadre de travail stable et une rémunération correcte. Le SYME, Syndicat professionnel des médiateurs, souhaite la mise en place d’une convention collective pour les médiateurs familiaux, et une clarification du modèle économique et du financement public de la médiation familiale, au bénéfice des usagers et, finalement, de leurs enfants.
Sur ce point, une idée pourrait être de s’inspirer de modèles de financement existant au Canada et en Belgique notamment. Il nous apparaît qu'un dispositif d'allocation personnalisée pour la médiation familiale à destination des usagers, analogue aux allocations accordées par la CAF, permettrait de laisser une réelle liberté aux personnes quant à leur choix de médiateur familial, que celui-ci exerce en association ou en libéral.
Un grand merci à Aline Di Meglio, Marion Fayel, Laurence Hanin-Jamot, Maryvonne Henry
et Jean-François Pellerin pour leurs contributions dans la préparation de cet article.
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