Deux nouveaux mécanismes pour l'amiable à compter de novembre 2023
Le garde des sceaux, ministre de la justice a publié le 17 octobre 2023 une circulaire de mise en œuvre et des fiches pratiques au sujet de deux nouveaux modes amiables introduits en matière civile. Notons que cette circulaire fait tout d’abord le constat que : ‘dans d'autres pays, en particulier au Pays-Bas, en Belgique, au Canada, la grande majorité des affaires portées devant un tribunal font l'objet d'une transaction alors que seules 5 à 10 % d'entre elles font l'objet d'un jugement. En France, ce sont 70 % des affaires civiles qui donnent lieu à un jugement. La politique de l'amiable a pour ambition de modifier ce rapport, non seulement par une évolution des textes, mais aussi par un changement de culture des acteurs du procès civil.’
Dans cette politique, le décret 2023-686 du 29 juillet 2023 a introduit dans le code de procédure civile deux mécanismes procéduraux pour favoriser le règlement amiable des litiges portés devant le tribunal judiciaire : l'audience de règlement amiable et la césure du procès civil. Ces nouveaux outils sont applicables aux instances introduites à compter du 1er novembre 2023.
Audience de règlement amiable (ARA)
L’Art. 774-1 du CPC précise que le juge saisi d'un litige peut, à la demande de l'une des parties ou d'office après avoir recueilli leur avis, décider qu'elles seront convoquées à une audience de règlement amiable tenue par un juge qui ne siège pas dans la formation de jugement. Le champ d’application de l’ARA est circonscrit, d’une part, aux affaires relevant de la procédure écrite ordinaire, et aux référés relevant de la compétence du président du tribunal judiciaire ou du juge des contentieux de la protection.
L’ARA renouvelle l’office du juge en lui conférant un rôle étendu, au sein d'une phase amiable, confidentielle, offerte aux parties une fois l'instance introduite. Dans cette audience, les parties doivent obligatoirement ‘comparaître en personne’, éventuellement accompagnées de leurs conseils. La mission du juge chargé de tenir l’ARA est étendue. Elle implique notamment, outre l'écoute des parties, de mêler les techniques de conciliation et de médiation (permettre la confrontation équilibrée des points de vue des parties, l'évaluation de leurs besoins, positions et intérêts respectifs ; réaliser des apartés ; proposer des solutions). Il est préconisé par ailleurs que cette ARA ne dépasse pas une journée.
La césure du procès civil
La césure du procès est à l'initiative des parties et ce, à tout moment de la mise en état. Les parties doivent s'accorder sur l'identification d'une ou de plusieurs prétentions dont elle sollicitent un jugement partiel. Elles demandent alors au juge de la mise en état, par des conclusions qui lui sont spécialement adressées, soutenu par un acte de procédure contresigné par avocats, de trancher cette partie de leurs prétentions.
L’idée est que le reste des prétentions pourra être traité séparément, et de préférence par tous moyens amiables : négociation, médiation ou conciliation. Le prononcé de jugement partiel peut faire l’objet d’un appel immédiat, qui sera traité selon la procédure à bref délai.
Premiers commentaires sur ces nouveaux modes amiables
Ces nouveaux outils de procédure offrent d'intéressantes possibilités, qui vont à la fois dans le sens d’une réduction des délais de traitement dans les tribunaux, et dans celui d’un recours accru aux modes amiables, qui responsabilisent les justiciables dans le règlement de leurs litiges.
L’effet de ces nouveaux modes amiables dépendra bien sûr des moyens et des effectifs mobilisés, des formations et des communications qui leur seront consacrées, et de la motivation en leur faveur qui en résultera. Nous aurons dans les prochains mois la possibilité de vérifier comment ces outils sont acceptés et utilisés au quotidien par les différents acteurs.
L’intérêt de la césure du procès est de permettre une accélération du traitement des affaires, en découpant celles-ci de façon à obtenir du juge les décisions partielles sur les points les plus délicats, afin de traiter plus rapidement et de façon amiable des points plus secondaires.
Concernant les ARA, il est permis de s’interroger sur le rôle du juge de l’ARA. Selon l’article 21 du CPC, il entre dans la mission du juge de concilier les parties. La directive du 17 octobre insiste sur l’extension des pouvoirs confiés au juge de l’ARA dans ce domaine. S’il devient une sorte de super-médiateur et de super-conciliateur, il convient de rappeler les fondamentaux d’une médiation : une adhésion éclairée de chaque participant, un cadre qui garantit confidentialité et sécurité, et une posture adaptée. Il est donc important d’obtenir l’adhésion de chacune des parties au processus. De plus, nous ne savons pas encore si le cadre et la confidentialité indiqués susciteront effectivement la confiance des justiciables. Enfin, rien n’est dit à ce stade sur la posture du juge de l’ARA, ni sur la façon dont elle pourra se construire. Ces points peuvent également déterminer la réussite de sa mission.
Donner au juge de l’ARA un pouvoir plus étendu que celui des médiateurs et des conciliateurs dans leur domaine d’intervention peut enfin susciter une certaine appréhension, voire une frustration chez les médiateurs comme chez les conciliateurs judiciaires. Est-ce une remise en cause de leur formation et de leur expérience ? Quel sera l’impact sur leur relation avec les juges ? La gratuité de l’ARA aura-t-elle un impact sur la rémunération des médiateurs judiciaires ? Il est évidemment trop tôt pour le dire, mais une vigilance sur ces points est de mise. En tout état de cause, espérons que le Conseil national de la médiation et la politique de l’amiable permettront prochainement aux médiateurs de bénéficier aussi de moyens étendus.
Jean Rooy - Jean-François Pellerin
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