Favoriser la relation entre médiateur et acteurs de la justice
Une interview de Béatrice Brenneur, médiatrice conventionnelle et judiciaire, formatrice, présidente d’honneur et fondatrice du Gemme (Groupement européen des magistrats pour la médiation) , présidente de Gemme-France et du CIM (Conseil international de la médiation).
Comment voyez vous le développement de la médiation aujourd’hui ?
Béatrice Brenneur : La médiation, et plus généralement les modes amiables, ne font pas qu’introduire de nouveaux acteurs. Ils bouleversent le rôle du juge et de l’institution judiciaire. Quel est en effet le rôle du juge ? C’est, avant tout, de contribuer à la paix sociale. Le droit n’est qu’un moyen, un outil mis à sa disposition. Ce n’est pas une fin en soi : le juge ne tranche les litiges et ne dit le droit que dans le seul but de garantir la paix sociale.
Aujourd'hui la médiation et les modes amiables représentent de nouveaux outils donnés aux juges, comme du reste aussi aux avocats, au service de la paix sociale. C’est une évolution majeure, avec des implications profondes dans tous les comportements.
Est-ce qu’une relation entre magistrat et médiateur est nécessaire et pourquoi ?
BBr : Pour moi, la relation de confiance entre le magistrat et les médiateurs est indispensable. A Grenoble j'ai ordonné plus de 1000 médiations et obtenu plus de 800 accords. Pourquoi ça marchait à Grenoble ? Parce que c’était à taille humaine et qu’on se connaissait bien. Au même moment, à Paris, ils avaient des difficultés pour lancer la médiation, les effectifs étant beaucoup plus importants et la relation de confiance plus difficile à installer. Je crois que beaucoup de choses passent par la confiance et il est extrêmement important que les juges connaissent les médiateurs.
A Grenoble, tout n’était pas facile pour autant, les juges avaient l'impression de se dépouiller de leur dossier… Et un collègue m'a dit un jour qu’avec ‘ma médiation’, j’enlevais le pouvoir des juges... Bien entendu, ce n'est pas leur dossier, c'est le dossier des justiciables, et ce qui compte, ce n’est pas le pouvoir des juges, mais une meilleure qualité du service public. Le juge se sent responsable du dossier qui lui est confié, et il veut trouver la meilleure solution possible. Ça passe évidemment par la qualité du médiateur, sa formation et puis sa personnalité, son profil, parfois son autorité naturelle. Il y a des dossiers qui demandent beaucoup de doigté et d’autres où il faut plus de fermeté... Les avocats le reconnaissent volontiers eux aussi.
Alors que les médiateurs sont de plus en plus nombreux, comment établir cette relation ?
BBr : Aujourd'hui, avec le développement de la médiation, le magistrat ne peut recevoir tous les médiateurs pour faire individuellement leur connaissance. Il a donc besoin de référents, de relais, capables de lui garantir le meilleur médiateur. C’est dans cet esprit que les listes de médiateurs des cours d’appel ont été imaginées.
L’intervention d’associations de médiateurs peut constituer un obstacle à la relation entre juges et médiateurs. Pour moi, les associations de médiateurs devraient d’abord garantir la bonne formation et la qualité des médiateurs. Quand la désignation d’un médiateur est le résultat d’une désignation à tour de rôle, ou du traitement sur une plateforme informatique, il devient impossible d’assurer qu’il s’agit de la meilleure personne. Et puis, cela implique qu’un médiateur indépendant n’a aucune chance d’être choisi.
Une autre façon de développer la relation, c’est de proposer des listes de discussion ou de visioconférence. Cette idée a été lancée par François Staechelé et Jean-Pierre Vogel-Braun, alors président du tribunal administratif de Strasbourg. Elle permet à des juges et à des médiateurs de faire connaissance et d’instaurer un travail d’équipe autour d’une série de questions. Elle fonctionne aussi dans des tribunaux judiciaires, notamment à Toulouse ou à Bourges. A titre d’exemple, en ce moment, la section française du Gemme a mis en place une liste de discussion et organise des visioconférences, sur les modalités de mise en œuvre des ARA (audiences de règlement amiable)... L’avantage de ces listes de discussions ou de visioconférence si elles étaient mises en œuvre au niveau des juridictions est qu’elles préserveraient la confidentialité. En effet, une juste distance doit être maintenue. Si le magistrat connaît personnellement le médiateur, il peut être tenté de l’appeler pour savoir comment s’est passée la médiation, ce qui n’est pas bon. Par ailleurs, ces forums mettent les associations de médiateurs sur un pied d’égalité, et permettent aussi à des médiateurs indépendants de se faire connaître.
Une autre approche, que j’ai personnellement expérimentée, est de proposer de partager les séances d’analyse des pratiques. On pourrait proposer aux magistrats de se joindre aux séances de partages de pratiques des médiateurs.
Comment favoriser la relation avec les autres acteurs de l’institution judiciaire ?
BBr : Les greffiers ont un rôle à jouer dans la politique de l’amiable. Ils vont désormais apporter une formule exécutoire aux accords établis par les avocats. Il est donc important que les greffiers, tout comme les juges, soient formés aux modes amiables. Il existe à Dijon une école des greffiers et elle doit être mobilisée. Il faut ensuite leur donner des outils comme des trames de documents à utiliser.
De même, il est indispensable de former les avocats accompagnant leur client, que ce soit en médiation ou dans les ARA (audiences de règlement amiable). Les avocats doivent être très impliqués dans la médiation, car ils sont des facteurs décisifs dans l’issue des médiations. Selon mon expérience personnelle, les médiateurs qui savent s’appuyer sur les avocats obtiennent 80% d’accords, alors que ceux qui refusent de s’appuyer sur les avocats, ne dépassent pas 30% d’accords. Si les avocats ne trouvent pas leur place, ils ne vont pas favoriser la médiation.
Quelles autres actions proposez-vous pour la médiation ?
BBr : Je suis favorable à une médiation ‘obligatoire’, au moins à une information obligatoire sur la médiation. J’ai personnellement pratiqué des audiences collectives de proposition de médiation, avec la possibilité de rencontrer immédiatement un médiateur. Bien entendu, de prime abord, les justiciables veulent le moins possible rencontrer l’autre. Il ne s’agit donc pas d’expliquer comment fonctionne la médiation, ce n’est pas ce qui les intéresse. Il s’agit au contraire de partir de leur affaire, d’en souligner l’importance, en montrant tout l’intérêt d’un traitement ‘sur mesure’, comme c’est possible en médiation et plus difficile dans un procès. L’implication du juge à ce stade est déterminante.
Dans ce cas, médiation ou information obligatoires demandent de réallouer des budgets. Il faudrait que les premières réunions soient prises en charge par le budget de l'État. En Italie, il y a un crédit d'impôt, qui est également incitatif. L’aide juridictionnelle à la médiation doit aussi être revalorisée et les procédures de règlement facilitées.
Je soutiens également l’idée de fiches d’évaluation remplies par les personnes ayant participé à des médiations. Ces personnes devraient pouvoir indiquer leur perception de l’information fournie, du déroulement de la médiation, de la sécurité et de la prise en compte des paroles de chacun, de la neutralité et de l’impartialité du médiateur... Et si ces personnes estiment que la médiation n’a pas bien fonctionné, qu’elles indiquent ce qui a posé problème et doit être travaillé. Ces fiches d’évaluation seraient adressées au médiateur dans un but d’amélioration, mais pourraient aussi être transmises au référent médiation du tribunal.
Il y a également l’utilisation de la comédiation. Quand deux médiateurs sont également expérimentés, les faire intervenir conjointement ne me semble pas nécessaire, ce peut même être une source de confusion. La comédiation me semble indispensable dans la phase d’apprentissage du médiateur, qui a alors besoin de mentors pour travailler les comportements adaptés. Elle peut également être intéressante quand il s’agit d’intervenir dans un domaine particulièrement technique. Dans tous ces cas, il ne devrait y avoir qu’un seul médiateur référent.
Propos recueillis par Jean-François Pellerin et Jean Rooy
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