Existe-t-il une différence entre médiateurs et conciliateurs ?
L’article 21 de la Loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative énonce que : « La médiation s'entend de tout processus structuré, quelle qu'en soit la dénomination, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l'aide d'un tiers, le médiateur, choisi par elles ou désigné, avec leur accord, par le juge saisi du litige. » Cette définition est considérée comme perfectible par de nombreux médiateurs, notamment parce qu’elle ne permet pas de distinguer médiation et conciliation, deux pratiques dont les acteurs estiment qu’elles ont des caractéristiques bien spécifiques.
La définition de la médiation proposée par le CNM
Dès sa prise de fonction, le Conseil national de la médiation s’est attaché à adopter une définition propre à la médiation, avec l’ambition de « fournir un socle commun aux différents médiateurs et aux différentes pratiques de médiation ». Sa proposition, telle qu’elle figure dans son premier rapport d’étape, est la suivante :
« La médiation est un processus volontaire et coopératif dans le cadre duquel des personnes entreprennent au moyen d’échanges confidentiels et avec l’aide d’un [ou plusieurs] tiers, le médiateur [ou les médiateurs] d’établir ou de rétablir des liens, de prévenir ou de régler à l’amiable un conflit. Le médiateur, tiers indépendant, impartial, formé à la médiation, sans pouvoir de décision, favorise l’écoute mutuelle et le dialogue entre les participants. »
Définir la conciliation ?
Cette définition ne parle pas de conciliation. Le Conseil national de la médiation est pourtant chargé de « rendre des avis dans le domaine de la médiation définie à l'article 21 de la loi de 1995, et proposer aux pouvoirs publics toutes mesures propres à l'améliorer », et l’article 21 concerne toutes les dénominations de la médiation. Le CNM a donc la possibilité de s’intéresser à la conciliation, même si l’arrêté désignant les membres du CNM n'a pas mentionné les conciliateurs de justice...
A ce stade, le CNM s’en est tenu à appeler l’attention du ministère de la Justice sur la nécessité de mieux préciser ce qui distingue la médiation de la conciliation. De leur côté, et dans une démarche analogue, les Ambassadeurs de l’amiable, dans leur rapport de juin 2024, recommandent « d’élaborer et mettre à disposition du grand public un document explicatif des différences entre médiation et conciliation »…
Par ailleurs, lors d’un colloque de la Cour de cassation le 20 janvier 2025, la professeure Soraya Amrani-Mekki, directrice du département droit de Sciences-Po Paris, a confirmé que dans l’état actuel des textes, il n’existe pas de différence de pratique entre conciliation et médiation, la seule différence étant liée au statut du conciliateur, lequel agit de façon bénévole. Le conciliateur a certes la possibilité de donner un avis personnel, mais la définition de la médiation proposée par le CNM n’interdit pas non plus à certains médiateurs d’agir comme ‘aviseurs’. C’est par exemple le cas des médiateurs de la consommation, représentés au sein du CNM par la CECMC, et qui, du point de vue de cette éminente juriste, sont des conciliateurs.
Les remarques de la professeure Amrani-Mekki semblent ouvrir la possibilité d’une distinction entre conciliation et médiation, le conciliateur étant autorisé à exprimer un avis personnel sur une affaire. Notons toutefois que le médiateur de la consommation, s’il agit gratuitement pour le consommateur, et peut exprimer un avis, n’est pas pour autant bénévole… Le bénévolat n’est donc pas caractéristique du conciliateur.
Des différences marquées dans les pratiques
Pour les médiateurs que nous sommes, malgré l’absence actuelle de distinction entre médiation et conciliation, les différences entre les deux pratiques sont bien marquées, et elles semblent découler tant du caractère bénévole des conciliateurs de justice que de leur pratique comme aviseur.
Les conciliateurs de justice ont, aux yeux des magistrats, un avantage précieux sur les médiateurs : ils ne remettent pas en cause le principe de gratuité de la justice, et requièrent un financement minime. De plus ils ont traité, en 2023, 183 000 saisines directes et en ont concilié 87 000. De leur côté, les médiateurs de la consommation (assimilables à des conciliateurs) traitent, de leur côté, 174 000 saisines par an… Ces chiffres sont très significatifs pour les tribunaux.
Les conciliateurs de justice font face à une activité très soutenue. Cela conduit le conciliateur à limiter le temps consacré à chaque dossier. Le nombre de dossiers traités annuellement par conciliateur serait proche de 120. L’effectif des conciliateurs de justice est aujourd'hui de 2 900, un nombre encore considéré comme insuffisant en regard des importants besoins. L’objectif, formulé depuis des années, de passer ce nombre à 5 000 se heurte à la difficulté de recruter davantage de bénévoles, compte-tenu de l’inévitable renouvellement de cette population. Rappelons qu’à l’inverse, les formations de médiateurs attirent chaque année un bon millier d’étudiants, dont la majorité peine ensuite à installer une activité rentable.
Enfin, les conciliateurs ont aujourd'hui une obligation de formation initiale dispensée sur une seule journée par l’ENM, et d'une journée de formation continue tous les 3 ans. Leur parcours d’accès à la pratique s’appuie en revanche fortement sur le compagnonnage. La pratique du compagnonnage pourrait être une source d’inspiration pour les médiateurs, qui disposent de formations initiales et continues beaucoup plus longues, mais dont la majorité (hors médiateurs familiaux diplômés d’Etat) ne bénéficie d’aucune aide dans l’accès à la pratique.
Vers une concertation entre conciliateurs et médiateurs ?
Médiateurs et conciliateurs sont des acteurs indispensables et très complémentaires de la politique de l’amiable, mais comment imaginer le développement de la médiation et de la conciliation, tant que ces activités et leur positionnements respectifs restent mal définies ? Comment le grand public peut-il se positionner face à ce flou ?
La définition récemment proposée par le CNM pour la médiation est une première étape indispensable, mais elle ne permet pas encore de caractériser les différences entre conciliation et médiation, alors qu’à l’évidence, ces interventions sont très dissemblables. Des pistes de réflexion, notamment liées au statut de bénévole et à la fonction d'aviseur, doivent être explorées dans les meilleurs délais, dans le cadre d’une seconde étape de travail du CNM, et avec une présence active des Conciliateurs de France.
Cette concertation pourrait aussi être le point de départ d’une réflexion commune à plus long terme sur les statuts, les formations et les effectifs. Alors que la société a tant besoin de dialogue et de résolution de conflits, les conciliateurs comme les médiateurs n’y ont pas encore pleinement trouvé leur place. Or il est frappant d’observer que le caractère bénévole des conciliateurs limite fortement leur nombre, et que le rythme des formations de médiateurs, source d’importants sureffectifs, fait obstacle au développement d’une pratique profitable de la médiation. La concertation doit, nous en sommes convaincus, permettre d’apporter des solutions appropriées à ces problèmes.
Jean Rooy et Jean-François Pellerin, médiateurs
Représentants du SYME au Conseil national de la médiation
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