Distinguer médiation et conciliation, condition de leur développement
Dans un précédent article, nous avons marqué notre regret que le législateur assimile conciliation et médiation dans une même définition. Dans le code de procédure civile, l’article 1530 précise en effet que ’la conciliation et la médiation régies par le présent titre s'entendent de tout processus structuré par lequel plusieurs personnes tentent, avec l'aide d'un tiers, de parvenir à un accord destiné à la résolution du différend qui les oppose’.
La situation dans laquelle les termes de conciliation et de médiation sont confondus n’est satisfaisante ni pour les conciliateurs (comme en témoigne le Rapport de mission des Ambassadeurs de l’amiable en 2024 p. 19), ni pour les médiateurs. Chacun connaît la parole d’Albert Camus selon laquelle "mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde". Si deux termes sont utilisés, il est important de préciser soigneusement l’usage de chacun, sauf à brouiller la compréhension et même la confiance de nos interlocuteurs. Nous allons ici tenter de le faire, et proposer une définition acceptable pour chaque activité. Nous verrons alors que cette différenciation n’est que la première condition du développement de chacune de ces activités, et qu’elle en appelle encore d’autres.
1. Distinguer le “litige” du “conflit” : deux logiques, deux métiers
Dans sa note du 29 novembre 2010, le Conseil d'Etat, saisi par le gouvernement à propos de la transposition de la directive européenne de 2008 sur la médiation, précisait que "la médiation se distingue… de la conciliation par l’intensité du rôle joué par le tiers « conciliateur ». Dans une médiation, l’intervention du médiateur se borne à une simple « assistance ». Contrairement au « conciliateur », le médiateur ne propose pas de solution au litige, il est un simple « facilitateur », un « pacificateur ». D’où des modes de rémunération distincts…"
Nous sommes bien sûr très loin de partager la vision dévalorisante de la médiation qui transparaît dans ces lignes ! Notons toutefois que le rédacteur mentionne que l’objet de l’intervention qui l’intéresse dans ce texte, est un ‘litige’. Rappelons que le litige (du latin lis, litis, le procès) est défini comme une contestation donnant matière à procès. Et nous reconnaissons volontiers que la conciliation est, dans un certain nombre de cas, une solution efficace et rapide à la résolution d’un litige, quitte, quand c’est nécessaire, à proposer une solution, sous réserve d’en avoir la compétence juridique.
A l’inverse, la médiation a pour objet une situation de conflit. Cette situation peut certes comporter un litige, mais elle comporte aussi de nombreuses autres dimensions (émotionnelles, relationnelles, systémiques), qui ne seraient pas traitées dans le cadre d’un procès. La médiation vise alors une prise en compte de tous les paramètres importants de la situation. Elle suppose une expression authentique des personnes concernées et encourage leur compréhension mutuelle. Elle leur permet alors de porter une nouvelle perception sur l’ensemble de la situation et d’élaborer un accord durable. Le médiateur est ainsi confronté à la complexité des attentes et des besoins de chaque personne, et mobilise des outils qui dépassent ceux de la négociation. La tentative de proposer une ‘solution’ est contre-productive.
Il semble donc aujourd'hui inapproprié de comparer l’intensité de l’effort déployé par les conciliateurs et les médiateurs en général : ces efforts ne s’exercent pas sur le même plan et n’ont pas la même finalité. Les conciliateurs peuvent être amenés à traiter plusieurs dossiers dans une même journée de travail. Les médiateurs traitent généralement beaucoup moins de dossiers, et consacrent plus de temps à chacun.
Conciliateurs et médiateurs partagent néanmoins des exigences communes, l’impartialité, la neutralité, l’indépendance et la confidentialité. Les conciliateurs ajoutent à cette liste trois devoirs, la probité, la diligence et la réserve, que les médiateurs peuvent certainement valider également. Au delà de ces principes communs, la proposition de définitions (certainement encore perfectibles), pour tenir compte des finalités fondamentalement différentes de chaque activité, serait alors la suivante :
- La conciliation : processus confidentiel où des personnes confrontées à un litige tentent, avec l'aide d'un tiers compétent, le conciliateur, de parvenir rapidement à un accord résolutif.
- La médiation : processus confidentiel où des personnes dans une situation qui les oppose acceptent, avec l'aide d'un tiers compétent, le médiateur, de modifier leurs perceptions pour élaborer ce qui convient à chacun.
Ces définitions ont l’avantage d’offrir un premier critère d’orientation, mais une autre approche peut également consister à définir pour chaque activité son domaine d’application privilégié.
2. À chaque situation son outil
Avec ces définitions, rien n'empêche un conciliateur d’intervenir en médiateur, ni un médiateur d’intervenir comme conciliateur, sous réserve pour chacun d’en avoir les compétences spécifiques. Conciliation et médiation appartiennent à un même continuum, qui englobe des approches plus ou moins directives.
On peut tenter de définir quelques principes d’application de ces définitions. Les conciliateurs ont naturellement leur place dans des conflits du quotidien ou avec des enjeux économiques limités, comme les baux d’habitation, le voisinage et la consommation. De même, les médiateurs ont leur place dans les situations marquées par plus de complexité systémique et des enjeux plus importants, comme des conflits familiaux ou des différends commerciaux. Bien entendu, des conflits de voisinage peuvent aussi avoir une forte dimension relationnelle, et méritent à ce titre d’être traités en médiation.
Dans cette logique, il semblerait approprié de désigner les ‘médiateurs de la consommation’, plutôt comme des ‘conciliateurs de la consommation’. Et les juges de l’ARA comme des juges conciliateurs. Cela semble nécessaire à la clarté, même si nous ne sous-estimons pas la résistance que peut susciter, pour les acteurs concernés, ces changements de dénomination. A l’inverse, pour les conflits du travail, souvent complexes et à fort enjeu, une approche en médiation semble indiquée, alors que dans les Conseils de prud’hommes, c’est le terme de conciliation qui est aujourd'hui en vigueur. Ce changement suppose que les juges des prud'hommes reconnaissent la durée et les compétences qui sont indispensables en médiation.
3. Professionnaliser conciliateurs et médiateurs
Les Ambassadeurs de l’amiable, dans le rapport de 2024 déjà cité (pp 15 à 18), ont mis en évidence un sentiment général de frustration des conciliateurs, qui semble lié à :
- Une reconnaissance insuffisante de leur rôle social pour la justice et dans la société
- Une formation incomplète et des conditions de travail mal adaptées
- Un besoin de professionnalisation
- Des effectifs stagnants : 2 686 conciliateurs en 2024 (inchangé depuis 2021, selon les chiffres de la Justice) alors qu'il en faudrait 5 000.
Ces facteurs pèsent sans doute sur l’attractivité de la conciliation. Mais améliorer la formation et les conditions de travail sera-t-il suffisant pour conduire à une véritable professionnalisation ?
La question centrale est en effet celle du modèle économique, et du bénévolat des conciliateurs. Car, jusqu'à preuve du contraire, aucune profession ne peut exister et se développer durablement dans le bénévolat. Personne n'imagine que le juge conciliateur intervenant dans l’ARA travaille gratuitement. De même, les médiateurs (ou conciliateurs) de la consommation sont correctement rémunérés par les entreprises donneuses d’ordre. Or il est frappant d’observer que tant les juges de l’ARA que les médiateurs de la consommation bénéficient d’une grande attractivité et d’une croissance rapide de leur activité...
Du côté des médiateurs, le constat est également qu’aucune médiation payante ne peut se développer en logique économique, alors que la conciliation comme la justice sont essentiellement gratuites. Ceci a pour résultat de décourager la majorité des clients potentiels de la médiation, et les conduit à préférer une démarche judiciaire. C’est alors le faible volume d’activité qui constitue un obstacle à la professionnalisation des médiateurs.
4. L'argument économique : arbitrer dans les budgets
Réfléchir à la rémunération des conciliateurs comme des médiateurs suppose en premier lieu d’élargir la focale sur les coûts et le financement du processus judiciaire. Sur ce point, il est utile de se reporter à l’étude européenne de 2014 intitulée Rebooting the mediation directive, qui propose dans les pages 122 et suivantes, une comparaison pays par pays des délais et des coûts des approches judiciaires et des approches de médiation.
- En moyenne européenne, un parcours judiciaire classique dure 566 jours et revient à un coût total de 9 179 €.
- Une médiation avec avocats coûte 60% moins cher qu'un procès.
- Un parcours intégrant une tentative de médiation préalable, suivie d’un procès en cas d'échec de la médiation, réduirait la durée moyenne des affaires à 213 jours et le coût total à 6 125 €.
Les arguments économiques de cette étude sont encore trop partiels pour être probants. Ces études indiquent néanmoins que les approches purement judiciaires disposent avec la conciliation et la médiation d’importants leviers d’optimisation économique, qui justifieraient que l’on examine sérieusement l’option d’un financement public de la conciliation comme de la médiation. Les usagers comme la Justice y gagneraient avec un service plus rapide et moins onéreux. Une piste concrète ? S'inspirer du modèle italien : une séance initiale obligatoire de médiation ou conciliation, à tarif modéré, pour évaluer la pertinence de cette démarche.
En conclusion
L'ambiguïté sémantique actuelle entre conciliation et médiation est un frein au développement de la justice amiable. Clarifier soigneusement les définitions de la conciliation et de la médiation est indispensable pour guider le grand public et les prescripteurs. Cela exige un travail commun des conciliateurs et des médiateurs, et semble tout à fait possible.
Cependant, cette clarification doit aussi s’accompagner d'une volonté politique de favoriser la professionnalisation des acteurs et l'accessibilité financière de ces modes amiables, qui en sont encore les points faibles et de grands obstacles à leur développement. Les données de la version actualisée de l'étude ’Rebooting the 2008 mediation directive’ (attendue pour fin 2025) devraient suggérer des solutions à cette urgence économique et sociale.
Jean Rooy et Jean-François Pellerin
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