Le SYME auditionné aux Etats généraux de la justice
Le 10/02/2022, Jean-François Pellerin (SYME), Sébastien Cuinet (APMF) et Romain Carayol (FFCM), étaient invités à une audition devant le comité des états généraux de la justice, présidé par Jean-Marc Sauvé, avec Jocelyne Chabassier et Vincent Le Gaudu, pour l'Inspection générale de la Justice. Lors de cette audition, le SYME et l'APMF ont insisté sur leur implication commune au sein du collectif Médiation 21 et ont illustré cette proximité par leurs prises de parole. Voici le texte proposé par le SYME lors de cette intervention.
Le terme de médiation est utilisé dans un nombre croissant de contextes, ce qui ne facilite pas la compréhension de ce qu’elle recouvre. Ainsi, on parle désormais de médiateur de la lutte contre le COVID pour désigner les personnes chargées des prélèvements et des tests COVID… Il semble donc important de commencer par préciser une définition de la médiation.
La médiation, telle que nous la concevons, est une activité qui travaille sur le rétablissement de la parole et de l’écoute, sur l’intercompréhension et les relations entre les personnes. Quand la parole est bloquée, quand la relation est rompue, ce ne sont pas les belles paroles ou les promesses, et encore moins la force ou les menaces qui peuvent les rétablir. C’est un travail de spécialiste, suivant un processus et un savoir-faire qui demandent une solide formation et une actualisation permanente. Cela suppose également une forte mobilisation et un véritable engagement des personnes concernées. Sans oublier une bonne dose d’humilité, car cela ne fonctionne pas à 100%... C’est cet ensemble de compétences que certains médiateurs, qui sont plus précisément des médiateurs centrés sur la relation, ont construit depuis plus de 30 ans en France.
La résolution des différends
Nous avons bien compris que la Justice, aujourd'hui confrontée à un important stock d’affaires et à des délais de traitement élevés, est particulièrement sensible aux moyens de faciliter la résolution des différends.
A côté de la médiation, il existe une multiplicité de moyens amiables pour résoudre un différend : la négociation, la conciliation, la procédure participative, le droit collaboratif. Ces approches ne font pas un préalable du rétablissement de la relation, et se concentrent sur la recherche et l’implémentation de solutions. Elles sont parfaitement légitimes dans les nombreux cas où les enjeux relationnels sont limités, tels que la renégociation ou la rupture d’un contrat, la résolution d’un désaccord technique, le paiement d’une facture, etc.
En revanche, la médiation centrée sur la relation est pleinement justifiée dans tous les cas où le différend comporte des enjeux humains et relationnels. A titre d’exemple, c’est le cas dans le domaine familial, où l’intérêt supérieur de l’enfant justifie le rétablissement d’une relation parentale satisfaisante. Idem dans les conflits interpersonnels en entreprise, l’enjeu étant la poursuite au long terme d’une relation de travail, etc.
L’apport de la médiation est qualitatif : le travail du médiateur conduit à des solutions durables, qui sont d’autant mieux acceptées qu’elles ont été co-construites par les personnes concernées.
Une cartographie des MARD établie en concertation
Les MARD représentent une grande variété d’approches, avec pour chacun des avantages et des caractéristiques bien spécifiques. Dans un souci de lisibilité, il serait justifié de mettre en regard, de façon réaliste, les domaines d’application et l’ensemble des paramètres (y compris économiques) de chacun des MARD. A titre de commentaire, à ce jour, médiation et conciliation semblent considérés par la Justice comme équivalents, avec toutefois une préférence pour la conciliation, dans la mesure où elle est perçue comme ‘gratuite’... Or la conciliation, tout comme la médiation, n’a aucune raison d’être gratuite, si elle correspond à un travail exécuté de façon récurrente et professionnelle. On peut donc imaginer que les orientations résultant d’une cartographie plus précise de chacun des MARD et de principes économiques plus réalistes seraient très différentes.
Un tel travail peut être rendu complexe en raison du caractère diffus des acteurs de ces MARD. Pour ce qui est des médiateurs, ceux-ci sont regroupés depuis 5 ans dans le collectif Médiation 21. Ce collectif a inscrit dans son livre blanc de 2019 la demande d’un Conseil national de la médiation, institué par la loi 2021-1729, qui devrait être un important contributeur dans cette cartographie.
Ce travail suppose également que la Justice se prête à une concertation sur ce thème avec les professionnels, concertation qui sera peut-être laborieuse, car elle bouscule bien des habitudes culturelles.
Une révision du processus de médiation judiciaire
Le travail de concertation entre justice et professionnels suppose également une revue complète du processus de mise en œuvre de la médiation judiciaire. A ce titre, doivent notamment être retravaillés :
- la communication entre juges et médiateurs, avec parmi d’autres la question de la confidentialité
- la date de démarrage de la médiation, le délai d’intervention du médiateur et l’impact de la médiation sur le délai de prescription
- une définition et des limites pour ce qu’on appelle les constats d’accord, les écrits attendus du médiateur
- un encouragement à l’établissement d’accords partiels, qui contribuent à une réduction de la conflictualité et de la complexité des affaires
Il s’agit là de sujets techniques et sensibles, sur lesquels les points de vue de toutes les parties prenantes doivent s’exprimer et être soigneusement ajustés.
Préciser qui sont les médiateurs de la relation
Les formations à la médiation délivrent aujourd’hui de l’ordre d’un millier de diplômes de médiateurs chaque année. Cet afflux de personnes diplômées témoigne bien sûr d’un réel intérêt pour les sujets liés au dialogue et à la relation entre personnes, au mieux vivre ensemble. Mais prescripteurs comme usagers sont confrontés à la même difficulté à identifier les professionnels compétents. La Justice a très vite compris le besoin d’organiser une sélection parmi tous ces médiateurs, en organisant dans chaque cour d’appel des listes de médiateurs (Décret n° 2017-1457). Elle l’a fait dans un parfait respect du principe d’indépendance des magistrats, laissant à chaque cour d’appel le soin d’organiser la collecte des candidatures et d’appliquer ses critères de sélection. Le code de procédure civile (Art 131.5) indique que : La personne physique qui assure l'exécution de la mesure de médiation doit satisfaire aux conditions suivantes : … 4° Justifier, selon le cas, d'une formation ou d'une expérience adaptée à la pratique de la médiation…
Une telle définition de la compétence du médiateur n’est pas satisfaisante. Dans le Livre blanc de la médiation (2019) les médiateurs estiment que la compétence du médiateur suppose de cumuler :
- l’acquisition d’une compétence initiale d’au moins 200 heures de formation
- une pratique professionnelle régulière
- un questionnement récurrent au moyen de séances d’analyse de pratique
- une mise à jour des connaissances au moyen de formations annuelles.
L’intérêt des prescripteurs comme des usagers est donc que ces facteurs de compétence soient soigneusement vérifiés et validés pour chaque médiateur. Nous demandons donc que les listes de médiateurs dans les cours d’appel soient désormais établies en prenant en compte tous ces critères.
Médiation 21 travaille actuellement à la mise en place d’un agrément qui permettra de garantir que le médiateur agréé peut effectivement se prévaloir de ces efforts. Cet agrément pourra, le moment venu, être une aide appréciable pour l’établissement des listes de médiateurs.
Dans le cas de la médiation familiale, il existe un diplôme d'État (DEMF), qui nous semble parfaitement répondre au critère défini dans l’article 131.5 3° Posséder, par l'exercice présent ou passé d'une activité, la qualification requise eu égard à la nature du litige. Nous demandons donc que ce diplôme d'État soit désormais exigé pour l’inscription sur les listes des médiateurs dans les cours d’appel, au titre de la rubrique spéciale pour les médiateurs familiaux.
A noter que les efforts d’acquisition de la compétence sont coûteux et justifient, en contrepartie, une juste rémunération.
Les tentatives obligatoires de médiation préalable
Au cours de ces dernières années, plusieurs tentatives obligatoires de médiation préalable ont été proposées. Il s’agit notamment de celles qui sont applicables à la médiation familiale (TMFPO article 7 de la loi n° 2016-1547), aux tribunaux administratifs (article 27 et 28 de la loi n° 2021-1729), aux troubles anormaux de voisinage (article 46 de la loi n° 2021-1729).
Les médiateurs soutiennent toute mesure permettant de développer le recours à la médiation. Ils saluent également l’Article L. 213-12, qui prévoit le financement du coût de la médiation préalable en matière administrative : Lorsque la médiation constitue un préalable obligatoire au recours contentieux, son coût est supporté exclusivement par l'administration qui a pris la décision attaquée. Ils demandent que le financement des coûts de la médiation concernant les tentatives obligatoires de médiation soit systématiquement précisé.
La TMFPO est actuellement expérimentée dans 11 TJ. L’extension de l’expérimentation à 84 tribunaux a été annoncée par le Garde des Sceaux en mars 2021, sans être confirmée depuis. L’APMF attend du SADJAV, de la CNAF, de la MSA et de la DGCS, une position nationale claire sur la nécessité d’associer les médiateurs et médiatrices familiaux à l’élaboration des protocoles de la TMFPO dans chaque juridiction. Une mise en œuvre concertée est impérieuse pour que chaque professionnel se sente engagé et pour que chaque personne accueillie en médiation familiale se sente en sécurité (Rapport d'évaluation de la TMFPO APMF Mai 2021).
De plus, pour l’expérimentation de la TMFPO, il apparaît que la disponibilité de médiateurs familiaux dans toutes les régions françaises peut constituer un obstacle à toute extension et a fortiori à une éventuelle généralisation ultérieure de la tentative de médiation familiale. Une évaluation complète des besoins et de la répartition géographique des médiateurs familiaux semble donc indispensable.
La médiation, un atout pour la Justice et les justiciables
Le code de procédure civile du Canada semble être le premier CPC au monde à déclarer, dans son article 1er : …Les modes privés de prévention et de règlement des différends sont choisis d’un commun accord par les parties intéressées, dans le but de prévenir un différend à naître ou de résoudre un différend déjà né. …
L’approche consistant à généraliser les MARD en amont de la Justice nous semble une direction également à privilégier en France. Elle pourrait largement contribuer à la qualité et à la célérité de la Justice. Elle implique évidemment une profonde évolution des pratiques, et suppose entre la Justice et ses partenaires une bonne prise en compte des besoins de chacun.
Les médiateurs sont persuadés que leur activité peut activement contribuer à cette approche. Au sein du collectif Médiation 21, et dans un vaste mouvement initié depuis 2018 avec les Etats généraux de la médiation, puis avec le Livre blanc de la médiation, les médiateurs poursuivent activement leur organisation professionnelle et s’attacheront à répondre à ces besoins. Le nouveau Conseil national de la médiation, dont la composition devra majoritairement refléter le monde des praticiens médiateurs, est appelé à faciliter toutes les évolutions à venir concernant la médiation.
Illustration : Jean-Marc Sauvé, président du comité des états généraux de la justice (L'Express)
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