Regards croisés sur la médiation et la conciliation
Tribune libre
La médiation et la conciliation appartiennent au domaine des modes amiables de résolution des différends, mais la comparaison des deux activités fait depuis longtemps l’objet de discussions, voire de controverses. Il nous est apparu intéressant de recueillir sur cette comparaison les points de vue bien complémentaires de François Staechelé, médiateur, secrétaire général de Gemme France et magistrat honoraire, et de Jean Rooy, médiateur familial diplômé d’État et avocat honoraire.
Qu’est-ce qu’un conciliateur ?
François Staechelé : La directive européenne de 2008, qui a une valeur supérieure à celle de nos lois et décrets, donne une définition de la médiation qui englobe celle de la conciliation. Il n'y a donc pas de différence de fonction entre ces deux modes de résolution des différends. La différence que font certains auteurs médiateurs est que le médiateur s’abstient de suggérer des solutions tandis que le conciliateur suggère des solutions. Mais en réalité aucun texte n’interdit au médiateur de suggérer des solutions : il y a simplement une différence de pratique, pratique que les textes ne réglementent pas - heureusement à mon sens. Rien n’interdit à un conciliateur (ou au magistrat conciliateur) de fonctionner comme un médiateur “orthodoxe” et rien n’interdit à un médiateur de fonctionner comme un conciliateur. Le conciliateur exerce toutefois son activité dans un ressort géographique donné, à l’inverse du médiateur, qui est libre d'exercer où bon lui semble.
Jean Rooy : Rappelons en premier lieu que l’office du juge, à tout stade de la procédure, est de concilier les parties. Les juges possèdent donc un pouvoir essentiel de conciliation. Les conciliateurs de justice sont délégataires de ce pouvoir de concilier et agissent, d’une certaine façon, au nom du juge. Ils ont une grande proximité avec les magistrats, ils travaillent et reçoivent les personnes et leurs avocats dans les locaux judiciaires. Ils utilisent les moyens de la justice et leur correspondance est à l’entête de la République. Cette particularité de son statut est essentielle. Il existe une autre caractéristique à relever : les conciliateurs sont nommés sur la liste des Cours d’appel au vu de leur carrière professionnelle antérieure. Aucune formation n’est exigée. Le stage requis à la prise de fonction est limité à deux jours. De même, le cadre temporel dans lequel le conciliateur intervient est très contraint. Il y est fortement incité à l’efficacité... Les conciliateurs sont précieux dans les conflits qui relèvent de la négociation et de la production rapide d’accords. Les magistrats sont particulièrement en demande de ce travail des conciliateurs. Il reste que tout conflit s’accompagne d’une forte expression d’affects, et que les conciliateurs ne sont pas préparés à y faire face, faute de formation appropriée.
François Staechelé : En effet, il n’y a pas de médiation sérieuse sans une formation adaptée. Les conciliateurs de justice ne sont pas tenus aux mêmes obligations de formation que les médiateurs judiciaires. Mais on ne peut s’improviser conciliateur de justice : il faut être inscrit sur une liste établie par la cour d’appel, tandis que le titre de médiateur n’est pas protégé. Seuls font aujourd’hui l’objet d’un contrôle de qualité, les médiateurs inscrits sur la liste établie par la cour d’appel et destinée aux magistrats.
Comment s’articule la relation avec le juge dans la conciliation et dans la médiation ?
François Staechelé : Le conciliateur peut établir un rapport à destination du tribunal, tandis que le médiateur ne peut le faire que dans le cadre d’une demande d’aide juridictionnelle conventionnelle. Les deux professions sont tenues à une obligation de confidentialité et le rapport ne devrait rien contenir qui relate les échanges survenus dans le cadre de la médiation ou de la conciliation.
Jean Rooy : Pour que les personnes puissent s’exprimer véritablement, il est impératif qu’elles soient assurées que ce qu’elles diront restera confidentiel. Le médiateur s’oblige donc à la plus grande indépendance vis-à-vis du pouvoir judiciaire, au nom de la neutralité et de la confidentialité, et du principe selon lequel ce qui a été échangé au cours d’une médiation ne peut être utilisé devant un juge. Mais cette étanchéité ne facilite pas leur relation avec les magistrats, et ne favorise pas le développement de la médiation judiciaire…
François Staechelé : Il y a des pays, en général beaucoup plus avancés que le nôtre dans l’expérience de la médiation, qui distinguent la médiation facilitatrice de la médiation évaluative, ce qui constitue une forme extrême de la suggestion de solutions. Cela me semble correspondre à un besoin, car dans les litiges qui posent des problèmes de principe, un médiateur silencieux sur les moyens de trouver une solution sera conduit à renvoyer les parties devant le juge. Mais il faut alors, selon moi, poser des limites à cette pratique : il faut que les parties demandent son avis au médiateur, il faut qu’une fois que le médiateur a donné son avis, il arrête la médiation et laisse les parties décider de la suite, car il ne serait plus impartial. Le médiateur ne doit pas s’arroger le droit de dire ce que le tribunal ferait s’il était saisi, mais se borner à donner son avis personnel. On se trouve ici dans une configuration de médiation-arbitrage. L’expérience du CMAP valide le cumul des deux modes de résolution amiable des différends.
Jean Rooy : Je comprends que la rapidité de traitement soit un facteur essentiel dans un contexte où juges comme conciliateurs sont très contraints par le temps disponible. Complémentairement à la logique quantitative qui en résulte, j’aimerais également souligner d’autres besoins, qualitatifs ceux-ci. Les affects qui accompagnent le conflit ne sont pas toujours suffisamment apaisés par le traitement express du litige. Les médiations demandées à l’occasion de certains conflits requièrent aussi la restauration d’une relation. C’est le cas, notamment, des conflits familiaux ou des conflits du travail. Dans les situations de ce type, le médiateur doit mener avec les personnes un travail spécifique permettant la ‘lente construction d’une conversation’, selon l’expression de Jacques Faget (Revue Tiers 2018-1 n°21, p149). C’est un effort plus important et plus long. Il est difficile d’en contester l’utilité. Les accords obtenus sont plus durables, et couvrent un champ plus large de la problématique relationnelle.
Qu’en est-il de la rémunération ?
Jean Rooy : Le médiateur est directement rémunéré par les personnes qui viennent en médiation, dans une logique libérale. En revanche, la Justice étant gratuite, aucune rétribution directe des conciliateurs de justice par les justiciables n’est envisageable, y compris quand la conciliation a lieu dans des mairies ou des lieux d’accès au droit. Observons toutefois que si la justice est gratuite, ses collaborateurs ne sont évidemment pas bénévoles. Ils sont rémunérés sur les budgets de la justice. Les quelque 2000 conciliateurs de justice reçoivent aujourd’hui une indemnité destinée à couvrir leurs frais. Ils réalisent 100.000 conciliations par an, et c’est tout sauf négligeable pour les juges. Ces derniers souhaitent donc depuis plusieurs années disposer de davantage de conciliateurs, sans parvenir à élargir significativement cet effectif. Une option permettant d’élargir l’effectif des conciliateurs de justice serait donc d’indemniser également le temps qu’ils consacrent à leur mission.
François Staechelé : Le conciliateur exerce son activité de manière bénévole, tandis que le médiateur peut se faire rémunérer, soit librement dans un cadre conventionnel, soit selon les modalités définies par la juridiction quand il exerce dans un cadre judiciaire. Selon ma pratique, la rémunération d'un médiateur ne se justifie pas lorsque l’enjeu du litige est faible. Dans ce cas, le juge ne suggérera pas la médiation, et les parties n’y consentiront pas, ce qui est tout à fait normal. A noter également que dans le cas d’une médiation préalable obligatoire, celle-ci ne peut être que gratuite, à peine de restreindre l’accès au juge, ce que la Cour de Luxembourg refuse. La médiation n’est payante que si les parties y consentent. Pour moi, le caractère bénévole de la fonction de conciliateur ne doit pas être considéré comme quelque chose de définitif. Bon nombre d’activités ont commencé par être exercées à titre bénévole, jusqu’au moment où leur légitimité et leur intérêt public ont justifié qu’elles soient rémunérées de façon appropriée.
Y a-t-il incompatibilité entre les fonctions de conciliateur et de médiateur ?
Jean Rooy : Pour éviter toute confusion et toute atteinte au principe de gratuité de la justice, les conciliateurs de justice s’engagent aujourd’hui, lors de leur inscription ou réinscription dans les cours d’appel dont ils dépendent, par une déclaration sur l’honneur, à ne pas être médiateurs. Les médiateurs intervenant à la demande des juges, sur des médiations judiciaires, pourraient symétriquement prendre l’engagement de renoncer à être conciliateurs de justice, lors de leur inscription sur les listes des cours d’appel. Reste que ces engagements devraient, à mon sens, être circonscrits à la seule activité judiciaire. Je ne vois pas, à ce stade, de motif pour empêcher les conciliateurs de développer une activité libérale de médiation conventionnelle, s’ils en ont la compétence et le désir, dès lors qu’ils le font dans un cadre bien distinct du cadre judiciaire. De la même façon, un médiateur conventionnel qui renoncerait à toute intervention en médiation judiciaire, devrait également pouvoir postuler comme conciliateur de justice.
François Staechelé : Vouloir interdire le cumul des fonctions de médiateur et de conciliateur me paraît non seulement sans fondement, mais choquant. Pourquoi interdire à un médiateur qui a en général une bonne formation de prodiguer gratuitement ses services au public comme conciliateur alors que, de surcroît l’on manque cruellement de conciliateurs, au point qu’il a fallu amender la réglementation pour décider que la médiation n’est plus obligatoire quand il n’est pas possible trouver un conciliateur dans un délai raisonnable. La fusion des deux fonctions serait plus justifiée, avec un processus de prise en charge des honoraires par l’Etat, pour les affaires dont le montant en litige est faible. Certains pays prévoient par exemple que la première réunion de médiation est gratuite pour les parties.
Jean Rooy : Je suis favorable à une juste rémunération du temps passé pour les conciliateurs. Et je propose également de permettre aux médiateurs qui en ont le désir et la compétence, de se rendre utiles à la Justice en tant que conciliateurs de justice. En faisant ainsi, leur accès à la pratique et le développement de leurs compétences seraient facilités. Il n’y a donc pour moi que des inconvénients à opposer conciliateurs et médiateurs. Ces deux activités ont leur utilité et leur domaine d’application dans le continuum que représentent les modes amiables. Les médiateurs pourraient voir dans la conciliation des opportunités pour accéder à une pratique, comme les conciliateurs, dûment formés, pourraient voir dans la médiation des opportunités d’élargissement de leurs interventions.
Médiateur social, un métier désormais reconnu et encadré
Au moment de s'engager dans le travail de reconnaissance du métier de médiateur conventionnel et...
Décret 2017-1457 : Le statut du médiateur judiciaire se précise
Les médiateurs sont invités à demander leur inscription sur les listes des cours d’appel.
SYME...
Guide d'inscription sur les listes de médiateurs des cours d'appel
Les documents de référence
Voir les pièces jointes
Décret 2017-1457 du 9.10.2017
Dépêche SG...
La Justice et la médiation familiale
Extension de la TMFPO
La tentative de médiation familiale obligatoire ou TMFPO, initialement...
La profession est-elle prête pour le big bang de la médiation familiale ?
La médiation est à la veille de prendre une toute nouvelle dimension. La Justice confirme...
Le DEMF entre spécificité et paradoxe
La médiation familiale, introduite dans le Code Civil à l'article 373-2-7-10 par la loi du 4...