Les conciliateurs de justice sont aussi au service de l’amiable
Tribune libre
A la suite de l’article « Regards croisés sur la médiation et la conciliation » rédigé par François Staechelé, médiateur, magistrat honoraire et secrétaire général de Gemme France, et Jean Rooy, médiateur familial diplômé d’Etat et avocat honoraire, il nous est apparu utile de compléter leur point de vue avec celui de conciliateurs de justice. Nous remercions donc vivement Paul Pourrat, conciliateur de justice, président de l’Association des conciliateurs de justice d’Auvergne et de la Commission communication de la Fédération conciliateurs de France, et sa collègue Catherine Chini-Germain, également conciliateure de justice et membre de la commission communication de la Fédération conciliateurs de France, d’avoir bien voulu répondre à nos questions.
SYME : Pouvez-vous préciser la définition de la conciliation de justice ?
Paul Pourrat : La conciliation de justice est bien sûr un mode amiable de règlement des différends (MARD), mais peut-être un peu plus que cela. Elle a pour objet de régler les conflits en amont ou en cours d’un procès, rapidement et gratuitement, en présence et avec l’aide d’un tiers, en l’occurrence le conciliateur de justice, auxiliaire de justice assermenté, et ce dans le respect des principes du contradictoire et de la confidentialité. Elle permet d’aboutir à un accord, à l’évidence préférable à un procès, d’autant que cet accord, et c’est l’originalité de la conciliation, peut avoir valeur de jugement, les parties pouvant requérir du tribunal son homologation, ce qui le rend exécutoire.
La conciliation de justice, comme tous les modes amiables de règlement des différends, participe du désengorgement des tribunaux. Mais elle va au-delà car elle règle un certain nombre de différends qui ne trouveraient pas de toute façon leur solution en justice , car les personnes concernées ne s’adresseraient pas à elle. Elle contribue ainsi à une mission générale de pacification de la vie sociale et des relations de proximité en permettant la résolution de tous ces petits problèmes qui empoisonnent la vie quotidienne.
C'est en ce sens que l’on dit parfois que le conciliateur de justice est un acteur essentiel du service public de la justice de proximité.
S : Quel est le statut du conciliateur de justice ?
PP : Le conciliateur de justice est, au regard des textes, depuis les décrets du 20 mars 1978 modifié par décret du 22 juillet 1996, 28 décembre 1998 et du 29 octobre 2018, un auxiliaire de Justice
- assermenté et bénévole,
- nommé par le Premier Président de la cour d’appel dont relève son tribunal après enquête du parquet,
- pour une durée probatoire de 1 an,
- puis un mandat de 3 ans reconductible sous certaines conditions, notamment celle d’avoir suivi les formations dispensées par l’Ecole Nationale de la Magistrature,
- sur un territoire (sa compétence est territoriale) spécifiquement délimitée lors de sa nomination,
Il doit satisfaire à de nombreuses conditions (expérience, compétence, qualification…), et est contraint par plusieurs incompatibilités (1), comme le non cumul avec une fonction judiciaire, qui garantissent l’absence de conflit d’intérêts.
Conséquence de ce statut, le conciliateur de justice peut utiliser dans ses relations épistolaires et règlementaires (cartes de visite, papier à en-tête..) un logo unique et l’identifiant du ministère de la justice, la Marianne.
Il peut être saisi directement par les parties par tout moyen et notamment dans le cadre de ses permanences ou par délégation du juge de son propre pouvoir de concilier (décret du 23 juin 2003). Il utilise les locaux judiciaires ainsi que les mairies pour ses permanences
Comme on le voit, ce statut l’encadre strictement, mais en contrepartie, le protège.
S : Quelle est la population des conciliateurs de justice et sa sociologie ?
PP : Nous sommes à l’heure actuelle plus 2700 conciliateurs de justice. Ce chiffre est en constante et conséquente augmentation ces dernières années. Ce sont des hommes pour 76% et des femmes pour 24%.
Il s’agit pour la plupart de retraités ; ils viennent de tous les horizons : cadres de la fonction publique (policiers, gendarmes, magistrats, enseignants …), cadres d’entreprise (dont juristes d’entreprise) ou dirigeants de sociétés, professions libérales (dont avocats), etc.
Ils doivent justifier d’une formation ou d’une expérience juridique. Celles-ci sont soumises à l’appréciation des magistrats en charge du recrutement lors leur entrée dans la fonction.
Les conciliateurs de justice interviennent, pratiquement partout en France, au plus près des justiciables. Ils accueillent le public dans plus de 4000 permanences : pour 1100 environ des lieux judiciaires : tribunaux, points justice, maison de la justice et du droit…, et pour près de 3000 des lieux publics autres (mairies ou dans les espaces France Services …).
Dans nombre de cas, si nécessaire à la compréhension « opérationnelle » de la situation, le conciliateur de justice se transporte sur les lieux.
S : Quelle est l’efficacité de la conciliation de justice ?
PP : Pour répondre à votre question, je répéterai in extenso ce qu'Eric Dupont-Moretti, le garde des sceaux a dit le 13 janvier, lors du lancement de la politique de l’amiable :
« Merci d’abord aux conciliateurs de justice qui bénévolement dans les palais de justice , Points – justice, ou les France Services, donnent sans compter de leur temps pour permettre aux justiciables souvent les plus démunis de se concilier, voire comme le dit leur devise de 'se réconcilier'.
Vous êtes, mesdames et messieurs les conciliateurs de justice les premiers maillons de la chaine, ceux qui écoutent, qui comprennent et qui accompagnent. Vous savez mieux que quiconque, grâce à votre expérience, votre formation toucher le cœur du problème et arriver à un accord qui pacifiera durablement les relations humaines.
Le gain judicaire est évident : ce sont presque 82.000 affaires qui ont trouvé une résolution sans recours au juge. Non seulement le litige a été réglé, mais surtout un stock de 500 affaires nouvelles par tribunal a été évité. »…
S : En quoi consiste la formation du conciliateur de justice ?
PP : Depuis 15 ans, la formation des conciliateurs de justice est assurée par l’Ecole Nationale de la Magistrature à l’appui de modules sur les compétences juridiques, matérielles, relationnelles et psychologiques nécessaires aux conciliateurs.
Cette formation est dispensée par des conciliateurs de justice, formés à cet effet par l’ENM, dans toutes les Cours d’appel de France. Elle est obligatoire, ceux qui ne l’auraient pas suivie pourraient voir leur mandat non renouvelé.
Pour les accompagner dans leur fonction de façon pratique et pragmatique, les conciliateurs de justice bénéficient de l’appui efficace des plus anciens avec un stage d’immersion préalable à la nomination et un tutorat par la suite, et d’aides à la gestion quotidienne grâce à des outil mis à leur disposition sur le site internet de la fédération Conciliateurs de France.
Par ailleurs, un site « le forum » a été créé il y a quelques années, qui permet aux conciliateurs de justice d’interroger le cas échéant leurs collègues conciliateurs, anciens professionnels du droit (avocats, notaires, huissiers, magistrats…), ou professionnels de l’assurance, de la banque, de l’habitat…. En fait des « experts » de tout le quotidien !...
« Le guide de la conciliation de justice » rédigé par la Direction des Services Judiciaires (DSJ), la Direction des Affaires Civiles et du Sceau (DACS) et l’Ecole nationale de la Magistrature (ENM) avec le concours de la fédération des associations de conciliateurs de justice de cour d’appel, rapporte de façon pragmatique les meilleures pratiques acquises au plus près des conciliables et des juridictions.
Par ailleurs, un intranet facilite la communication interne comme externe et permet à chacun de consulter des bases de données nécessaires dont le guide de la conciliation de justice avec des liens vers les différents sites justice, et autres sources documentaires adéquates.
S : Comment traitez-vous la question de la déontologie du conciliateur ?
Catherine Chini-Germain : A l’entrée en fonction , comme tout au long de l’activité du conciliateur de justice, sont rappelées toutes les règles déontologiques.
Lors de sa prestation de serment, le conciliateur de justice s’engage à respecter sept principes : neutralité, diligence, indépendance, probité, réserve, impartialité, confidentialité. Auxquels nous ajoutons naturellement le principe d’équité.
Le déroulement de la conciliation de justice se développe selon un parcours formalisé qui va du premier contact avec un demandeur jusqu’à l’éventuel accord final entre les deux parties en respectant le principe du contradictoire.
S : Quelle est la portée de cet écrit du conciliateur ?
PP : A L’issue de la réunion de conciliation, le conciliateur peut rédiger un constat d’accord ou d’échec et, en cas d’absence d’une des parties, un constat de carence.
Lorsque le conciliateur de justice constate un accord - même partiel- il a la possibilité de rédiger un constat d’accord qu’il cosignera avec les parties. Ce constat peut être homologué par le juge comme on l’a dit précédemment. L’homologation du constat d’accord par le juge à l’initiative des ou de l’une ou l’autre des parties est très utile en ce qu’elle donne à l’accord la même valeur qu’un jugement et force exécutoire au constat.
A défaut d’homologation, l’accord a l’effet d’un simple contrat et ses stipulations sont opposables par chacune des parties.
S : Quelles sont les relations que vous entretenez avec les juges, avec les greffiers ?
PP : Relevant du ministère de la justice, le conciliateur de justice est associé à l’institution judiciaire de laquelle il tient sa légitimité. Le ministère de la justice le qualifie explicitement de « collaborateur essentiel du service public de la justice »
Du reste, ce sont les magistrats coordonnateurs de la protection et de la conciliation de justice du tribunal judiciaire qui s’occupent du recrutement des conciliateurs. Pour la plupart ils y associent l’association régionale des conciliateurs de justice. Par la suite, les magistrats coordonnateurs de cour d’appel et de première instance organisent annuellement des rencontres avec les conciliateurs de justice lors de réunions d’information ou de formations.
Le conciliateur de justice fait enregistrer ses constats écrits par le greffe du tribunal dont il dépend. Il a l’obligation de rendre périodiquement compte de sa mission, au minimum une fois par an, dans un rapport formalisé par écrit.
S : Comment coopérez-vous avec les avocats ?
CCG : Nous n’oublions pas les avocats et leur rôle dans la conciliation de justice , même s’ils n’interviennent que rarement dans le cadre des conciliations et parce qu’en conciliation de justice les personnes physiques se présentent elles-mêmes. Mais nous considérons qu’en amont, comme pendant ou après la conciliation, l’avocat a toute sa place.
Une règle s’impose toutefois : ce n’est pas lui qui saisit le conciliateur de justice et lors de la réunion de conciliation de justice, il ne représente pas mais assiste son client. Il peut apporter un éclairage juridique sur le différend, peut participer à l’élaboration de solutions en conseillant celui-ci, expliciter les suites à donner au constat…
Si une seule des parties est assistée par un avocat, le conciliateur de justice veille tout particulièrement au respect de l’équilibre dans les échanges dans un souci constant d’impartialité
S : Pouvez-vous nous dire un mot de la gestion des affects dans la conciliation judiciaire ?
CCG : Être conciliateur demande beaucoup d’empathie et c’est bien une donnée incontournable de la fonction. La conciliation est une relation, certes cadrée, mais interpersonnelle. C’est son premier moteur sinon sa condition. La formation du conciliateur le lui rappelle sans cesse et l’outille pour ce faire. La formation apportée par l’ENM porte, comme dit plus avant, sur les compétences juridiques, matérielles, et aussi relationnelles. Le conciliateur agit rapidement (le plus souvent en moins de 3 mois) mais sait prendre son temps dans les affaires matériellement ou psychologiquement complexes et impliquantes réclamant parfois des expertises connexes. Il apprend à gérer les conflits.
De ce fait, on peut dire qu’il est proche des personnes qu’il rencontre tout en gardant la distance nécessaire à l’accomplissement de sa fonction. Il est de ce fait, une des figures cardinales de la justice de proximité.
(1) Il est important de mentionner aussi l'incompatibilité entre les fonctions de conciliateur de justice et celles de médiateur (à l'exception de la médiation de la consommation). cf. Circulaire du 19 avril 2019 relative à la simplification et renforcement de l'attractivité des fonctions de conciliateur de justice [Note du SYME].
Décret 2017-1457 : Le statut du médiateur judiciaire se précise
Les médiateurs sont invités à demander leur inscription sur les listes des cours d’appel.
SYME...
Guide d'inscription sur les listes de médiateurs des cours d'appel
Les documents de référence
Voir les pièces jointes
Décret 2017-1457 du 9.10.2017
Dépêche SG...
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