Une initiative originale et qualitative pour la médiation judiciaire
Au moment où sont publiées de nouvelles listes de médiateurs dans chacune de nos 36 cours d'appel, il nous semble éclairant de mettre l'accent sur l'action de l'UMEDCAAP, qui développe depuis 6 ans une initiative exemplaire en faveur de la médiation judiciaire.
Rencontre avec Sandra Gallissot, présidente de l’UMEDCAAP
Quelle est la mission de l’UMEDCAAP ?
L’UMEDCAAP est une association fondée en 2018 par 4 personnes fraîchement inscrites sur la première liste de la cour d’appel d’Aix en Provence. La mission de l’association vise à regrouper les médiateurs inscrits sur cette liste pour animer ce groupe. Une vocation qualitative au service de la justice, et pas simplement de la facilitation procédurale. Il s’agit de couvrir l’ensemble de ce que représente la médiation judiciaire.
Aujourd’hui en raison d’une forte demande des juridictions dans ce sens, l’association consacre une part de son énergie dans l’organisation des réunions d’information sur la médiation, qui lui sont adressées par les juridictions. L’association est également sollicitée pour des médiations avant la saisine, ou après une décision. Et elle a aussi une activité importante de formation, d’analyse de pratiques spécifique à la dimension judiciaire (notamment la communication avec les juridictions)
En avril 2023, nous avons formalisé l’ensemble des pratiques sous la forme d’une charte destinée à tous les professionnels concernés. Cette charte a été signée par le président de la cour d’appel, par les huit présidents des tribunaux judiciaires, les huit bâtonniers, le centre de notaires, et l’UMEDCAAP. Cette charte précise que l’UMEDCAAP a un rôle de service public général au bénéfice de l’ensemble des justiciables, et qu’elle agit en facilitateur.
En 2024, au-delà du volume de procédures, il est nécessaire pour la justice de mesurer l’apport des réunions d’information à la médiation par un médiateur, autrement que par l’existence d’un accord. A cet effet, fort de nos milliers d’informations à la médiations, nous engageons cette année une expérimentation de mesure de la qualité perçue de l’information à la médiation par le justiciable. C'est-à-dire solliciter l’avis des justiciables et des conseils sur l’évolution de leur perception des façons envisageables pour eux de résoudre un conflit - celui pour lequel ils sont en réunion, ou pour l’avenir.
Quels médiateurs peuvent adhérer à l’UMEDCAAP ?
L’adhésion est proposée à tous les inscrits sur la liste de la cour d’appel d’Aix en Provence, médiateurs personnes physiques et centre de médiation. Personne n’est obligé d’être adhérent pour bénéficier de propositions d’information à la médiation. En 2019, le débat sur cette question a été important. Il a tout d’abord été précisé que l’UMEDCAAP, n’était pas un centre de médiation. Ensuite, les juges ont mis comme condition, pour reconnaître l’UMEDCAAP comme interlocuteur principal, que l’adhésion à l’UMEDCAAP ne soit pas obligatoire pour bénéficier des réunions d’information à la médiation. A noter que les juges se réservent la possibilité d’affecter telle ou telle demande à un médiateur de leur choix, s’ils l’estiment plus apte à traiter une situation donnée.
Sur la liste 2023, il y avait 160 médiateurs inscrits et une petite dizaine de personnes morales. Les deux tiers étaient adhérents à l’UMECAAP. Dans le tiers qui n’est pas adhérent une bonne partie ne souhaite pas participer aux informations à la médiation voire ne recherche pas de médiations judiciaires.. Bien entendu, les adhérents bénéficient de services supplémentaires : des formations, un accompagnement, des analyses de pratiques (et non seulement des échanges) notamment. L’UMEDCAAP publie par ailleurs un annuaire selon un modèle établit avec la Cour et qui rassemble des informations détaillées sur chaque médiateur. Il est remis aux magistrats..
Comment organisez-vous les interventions de vos médiateurs ?
L’UMEDCAAP écrit, chaque début d’année, à toutes les personnes inscrites sur la liste de la cour d’appel, en leur demandant si elles souhaitent réaliser des informations bénévoles à la médiation, et dans ce cas,, auprès de quelle juridiction et avec quelle fréquence. Cela permet de garantir que notre liste de médiateurs conserve une qualité réellement ‘opérationnelle’. L’UMEDCAAP entend en effet que les interventions demandées par les juridictions soient exécutées dans les meilleurs délais. Si ce n’est pas le cas, elle peut être amenée à retirer le médiateur de la liste pour l’année en cours, le but étant d’éviter qu’une seule personne ne pénalise la qualité du collectif. Dans le même esprit, si les médiateurs privilégient à présent les informations en visio, la médiation devra être réalisée en proximité. Enfin, bien entendu, dans les juridictions, de tailles très différentes, il y a, parmi les juges et les greffiers, des appétences bien différentes vis-à-vis de la médiation, et aussi des changements d’affectation, l’association dispose d’ un interlocuteur présent en toutes circonstances pour recevoir et traiter au plus vite toute sollicitation.
L’UMEDCAAP est essentiellement sollicitée pour des demandes de réunions d’information émises par les juges. Il peut y avoir des situations où des parties font savoir à la juridiction qu’elles sont d’accord pour aller en médiation et qu’elles demandent la désignation d’un médiateur, ou bien des médiations post-sentencielles. Dans ces cas, le magistrat peut nous solliciter pour qu’on lui communique le nom d’un médiateur à désigner (en tenant compte des souhaits du magistrat). De même des avocats peuvent nous contacter pour la désignation d’un médiateur.
Chaque juridiction dispose d’une boite mail structurelle umedcaap, et cette boite est gérée par un interlocuteur privilégié pour chaque juridiction. Toute demande de médiateur est saisie dans notre logiciel Themis, et un algorithme dans ce logiciel propose un nom, en toute égalité, et en tenant compte des souhaits de chaque médiateur quant à la juridiction et la fréquence des sollicitations.Une liste de spécialités permettent d’affecter en critère secondaire un médiateur ayant une spécialité particulière si cela est demandé par le magistrat. Ce médiateur reçoit alors une proposition, et dans les 7 jours maximum, il doit accepter ou refuser, dans le cas où il aurait une difficulté particulière à prendre en charge le dossier.
Une fois la mission d’information acceptée par un médiateur, l’interlocuteur privilégié de la juridiction indique son nom à la juridiction, ce médiateur interagit directement avec la personne en charge (magistrat, greffe ou tout autre point de contact). Il réalise alors l’information à la médiation, gratuite, puis bénéficie d’un droit de suite si l’information conduit à une médiation. Il peut alors communiquer à son contact le résultat des démarches successives. L’UMEDCAAP fournit à ses adhérents un certain nombre de courriers prérédigés pour gagner du temps dans ces échanges, et notre outil Thémis leur permet de personnaliser les informations contenues dans sa base d’informations.
La médiation familiale est un domaine où l’UMEDCAAP est moins sollicitée. Elle est traitée suivant des principes analogues entre les juridictions et les associations conventionnées, et en utilisant un outil qui est un prédécesseur de notre outil Themis.
Tout ceci représente beaucoup d’énergie…
Précisons que l’effort consistant à assurer les informations à la médiation suppose de passer beaucoup de temps. Aujourd'hui, le taux de conversion moyen d’une information en médiation est de l’ordre de 35%. Nos interlocuteurs ont compris à présent que la médiation payante n’est pas un abus, qu’elle correspond à un vrai travail, alors que les taux horaires des médiateurs restent très raisonnables. Il y a du reste très peu de récriminations sur le coût de la médiation. Lorsque la médiation prospère tout le monde s’accorde à reconnaître que le jeu en valait la chandelle, et quand ce n’est pas le cas, les coûts sont minimes et la démarche a permis de mûrir la réflexion de chacun.
La proportion des professions juridiques (avocats, notaires, commissaires de justice) dans la liste de la cour d’appel est de l’ordre de 40%. Parmi nos adhérents, la proportion est analogue. Il y a aussi dans la liste et parmi nos adhérents des professionnels du droit en retraite, notamment des juges honoraires. Ils font l’expérience de ce que la médiation représente un travail significatif et des revenus modestes.
Comment favorisez-vous une bonne relation entre les membres de l’institution judiciaire et vos adhérents ?
La relation entre les membres de l’institution judiciaire et nos adhérents est facilitée notamment par l‘implication de nos interlocuteurs privilégiés, qui sont des bénévoles de l’UMEDCAAP auprès des juridictions, qui rencontrent régulièrement les magistrats. Ceux-ci organisent des rencontres avec chaque juridiction, entre parties prenantes du monde judiciaire et médiateurs intervenant dans la juridiction. Nous participons aux audiences solennelles, à la Nuit du Droit de la cour d’appel d’Aix en Provence, en tant que partenaires de justice invités. Nous avons également d’excellentes relations avec la cour administrative d’appel de Marseille.
Quels sont les résultats de vos actions ?
Nous avons enregistré plus de 2000 entretiens d’information à la médiation depuis le lancement, et près de 900 en 2023, avec 35 % de conversion en médiation. Toutes les juridictions recourent à l’Umedcaap. Il est important de noter de plus que depuis son lancement, l’organisation UMEDCAAP a résisté à tous les changements d’interlocuteurs, présidents de juridictions, magistrats, interlocuteurs privilégiés et bureau de l’association. Cette stabilité témoigne de la résilience de ce que nous avons mis en place. En 2019, nous avons été intégrés dans le schéma directeur de la médiation, reconnaissant l’UMEDCAAP comme interlocuteur principal de la cour. En 2023, la charte qui clarifie les rôles et devoirs de chacun, signée par toutes les parties prenantes, est également un bon indicateur de résultat. A travers ces jalons, on peut constater que le système s’institutionnalise…
Nous allons aupres des situations spécifiques pour s’ajuster (exemple : médiation avec les conseil de prud’hommes au niveau du départage)
Comment êtes-vous financés ?
Nous n’avons aucun salarié, et notre financement repose essentiellement sur nos cotisations et sur le bénévolat. Historiquement nous avons bénéficié à deux reprises d’une subvention d’un CDAD, mais ces concours ponctuels ne permettent pas d'asseoir un budget régulier. Si au niveau des cours d’appel, il n’y a pas un système qui encourage et subventionne des associations comme la nôtre, le risque de fragiliser la pérennité de ces initiatives ne peut être exclu.
Tout le travail de l’UMEDCAAP repose donc sur son bureau, son conseil d'administration, son réseau d’interlocuteurs privilégiés, au nombre de 12 - 8 pour les juridictions et de 4 pour les différentes chambres des cours d’appel. Si nous voulons que notre système informatique Thémis puisse évoluer en fonction des besoins, cela a un coût. Par ailleurs, notre activité occasionne des frais de formation, d’impression de l’annuaire, et aussi de nombreux déplacements à l’intérieur du ressort. Si une expérimentation peut, dans une certaine mesure, s’appuyer sur le bénévolat, une politique durable de l’amiable ne peut être envisagée sans financement.
Quel est le temps de travail nécessaire pour gérer ce fonctionnement ?
Les temps de travail annuel correspondent à 10 réunions de bureau, auxquelles s’ajoutent 4 ou 5 réunions du conseil d’administration, et 4 ou 5 réunions avec l’ensemble des interlocuteurs privilégiés, et une assemblée générale. Il faut également ajouter le temps de travail des interlocuteurs privilégiés dans chaque juridiction ou chambre, entre 1 et 3 jours par mois, selon les cas, ce qui peut être lourd. Il est important d’avoir un bon roulement parmi ces bénévoles, faute de quoi, il pourrait y avoir démotivation. Heureusement ce travail est intéressant. Mais les signaux de reconnaissance restent modestes.
Nous avons conscience d’être à un moment charnière de la médiation judiciaire. Quelle est sa place face aux conciliateurs, aux procédures participatives, à l’audience de règlement amiable ? Pour moi une spécificité de la médiation tient au fait que l’information à la médiation est assurée par un médiateur, et effectuée désormais “sur mesure”. Au cours de ces entretiens d’information, le justiciable voit immédiatement la différence entre une position haute, celle de ses interlocuteurs habituels, magistrats ou des avocats, et la position basse du médiateur. Il réalise alors que les sujets qui le concernent pourraient être abordés tout autrement. Il serait dommage que cette spécificité soit oubliée.
Pensez vous que des structures analogues seraient possibles dans d’autres cours d’appel ?
Bien sûr. Il existe déjà au moins une autre structure autour de la cour d’appel de Bordeaux, l’UMEDCAB, qui fonctionne selon des principes un peu différents. Mais si l’on souhaite développer ce type d’initiatives, le cœur de la réflexion est, pour moi, de savoir si on se dirige vers une approche déconcentrée (d’un dispositif central décliné) ou décentralisée (des dispositifs locaux). Je suis personnellement d’avis qu’il convient de laisser la main aux cours d’appel, et la liberté à chacun de s’exprimer selon sa lecture des particularismes locaux. En tant que médiateurs, nous savons bien qu’on peut fixer un cadre général sans pour autant chercher à remplir le cadre...
Quelles seraient pour vous les conditions de cette mise en place ?
En premier lieu, cela suppose que la cour définisse une orientation claire en faveur de la médiation. A Aix en Provence, cette orientation a fait l’objet du schéma directeur de la Cour établi dès 2019.
Pour ce qui est des médiateurs, la première condition est de faire un diagnostic des pratiques dans les juridictions. Cette analyse, qui peut être critique, permet de construire un projet. Ce temps de partage du terrain est nécessaire, et il ne peut venir d’en haut ! Dans la phase du schéma directeur de la médiation en 2019, nous avons fait dans chaque juridiction une ou plusieurs réunions, avec un conseiller pour la médiation, rattaché auprès du premier président de la cour, avec les présidents de chaque juridiction, leurs référents médiation et des magistrats. Au cours de ces réunions nous avons regardé ce qui avait été pratiqué et comment cela avait fonctionné. Ainsi, nous avons vu que les différentes juridictions n’étaient pas de taille équivalente et que même la nature des contentieux y était bien différente : les juridictions des grandes métropoles n’ont pas du tout les mêmes contentieux que celles des juridictions plus rurales. Tout ceci doit soigneusement être pris en compte.
La deuxième condition est de valider entre médiateurs une égalité d’accès pour tous les médiateurs, évitant tout favoritisme et entre-soi. Les problèmes de répartition s’ils ne sont pas transparents sont souvent à la source de nombreuses difficultés.
La troisième condition est de viser, entre médiateurs, une véritable boucle d’amélioration de la qualité. Chaque médiateur est appelé à contribuer à l’amélioration de la qualité de la liste, avec un engagement fiable en faveur de cette qualité. Il lui faut pour cela rechercher et partager les meilleures pratiques.
La dernière condition, déjà mentionnée, est de disposer d’un socle de financement permettant d’asseoir une activité durable.
Propos recueillis par Jean Rooy et Jean-François Pellerin
En conclusion
Un grand merci à Sandra Gallissot, pour la patience et la précision avec lesquelles elle a partagé son expérience unique au sein de l’UMEDCAAP. Nous saluons le caractère visionnaire de cette initiative depuis 2018. A l’heure de la Politique de l’amiable proposée par notre Garde des sceaux, la lecture de ce témoignage donne évidemment envie de travailler en direction de projets analogues dans d’autres cours d’appel.
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