Connaître l'opinion des magistrat(e)s sur la médiation judiciaire en France
Synthèse des premières contributions à la consultation du SYME
Convaincu que le dialogue suivi entre les médiateurs et les principaux acteurs des juridictions est la condition du développement de la médiation, le SYME a souhaité recueillir l’opinion des magistrat(e)s et greffier(e)s sur leur pratique de la médiation et sur les conditions de son développement auprès des justiciables en France. L’enquête lancée en juin 2024 est un premier fruit de sa réflexion.
Pour sa diffusion, cette enquête a bénéficié du concours de la section française du Groupement européen des magistrats pour la médiation (Gemme-France) que nous remercions très vivement. Elle a par ailleurs été adressée à 6 syndicats de magistrat(e)s et greffier(e)s, ainsi que, par l’intermédiaire de ses adhérents, auprès des acteurs des juridictions avec lesquels ils sont en contact, avec semble-t-il moins de résultat.
Une trentaine de magistrat(e)s ont répondu à cette enquête, témoignant de leur conviction et de leur engagement dans le développement de la médiation. Le SYME remercie chaleureusement l’ensemble des magistrat(e)s qui ont répondu à cette enquête. Il présente ici une synthèse des premiers résultats de cette consultation, qui sont riches d’enseignements et de recommandations sur la pratique de la médiation judiciaire. Compte tenu du caractère anonyme et confidentiel de l’enquête, les résultats ci-après sont indicatifs.
Une trentaine de magistrat(e)s, engagé(e)s dans la réflexion sur le développement de la médiation
Les réponses proviennent, dans leur grande majorité, des Tribunaux judiciaires (19 sur 29) et des Cours d’appel (4 sur 29), notamment, du plus haut niveau de ces juridictions (11), et de magistrat(e)s représentatifs de toutes les compétences d’attribution (civil, social, commercial, familial…). Quelques réponses (5 sur 29) proviennent également de la Cour de cassation, d’un Tribunal administratif, d’un Tribunal de commerce, de deux conseillers prud’hommes, ou encore d’un juge de proximité.
Une pratique de la médiation judiciaire établie, mais un dispositif institutionnel hétérogène…
A la question de savoir s’il existe dans leur juridiction des instructions ou des critères permettant d’orienter vers la médiation, les réponses sont partagées (16 non / 13 oui). Les magistrat(e)s revendiquent presque unanimement (25 sur 29) des critères personnels pour orienter vers la médiation (à l’exception d’un magistrat ne pratiquant que la conciliation). Mais le moment le plus pertinent pour proposer la médiation est très varié :
- « à tous les moments », « tout le temps » et « tout au long de la procédure »
- « le plus tôt » et « le plus rapidement possible après l'enregistrement de la requête», « dès que toutes les parties ont constitué avocat », « quand les parties ont pris contact et par l'intermédiaire de leur conseil », « dès le début de la procédure », et « avant l’audience pour le JAF »
- « à la première audience de mise en état », « à l'audience, au début du traitement de l'affaire » ; « le poids de la parole du juge et le calme imposé par la procédure permet de proposer une médiation, parfois déjà envisagée par les parties avec leurs avocats », ou « pendant une audience de référé ».
La majorité des magistrat(e)s ayant répondu disent que lorsqu’ils/elles préparent leur audience, ils/elles sélectionnent les affaires qui pourraient donner lieu à une proposition de médiation, mais si certains le font parfois / souvent / très souvent (17), certains ne le font que (très) rarement (11). Certains disent informer les parties en ouverture d'audience, de la présence d'un/une médiateur(e) ou de l'intérêt de la médiation, très souvent / souvent / parfois (12), mais la plupart ne le font que très rarement ou rarement (16).
En ce qui concerne le recours aux injonctions à rencontrer un(e) médiateur(e), leur nombre varie de zéro ordonnance (8 réponses) à un nombre plus important allant de 30 à 100 (6 réponses) voire de 100 à 300 par an ou supérieur (3 réponses), en passant par un nombre faible inférieur à 30 par an.
Plusieurs réponses témoignent de l’existence au sein de plusieurs juridictions d’un/une magistrat(e)s référent(e) médiation (18), de même que de réunions magistrat(e)s – associations de médiation (8) et d’un contact privilégié auprès d'une association de médiateur(e)s ou autre organisation (7). Les réunions magistrat(e)s – médiateur(e)s individuel(e)s semblent elles plus rares (5). Il n’y a en revanche quasiment pas d’unité des modes amiables et de conciliateur(e)s, et par endroits il n’y a « rien ou personne » (5).
De l’intérêt à développer la médiation au profit du justiciable et de l’institution de la justice
Les magistrat(e)s confirment unanimement l’intérêt qu’il y a, à développer la médiation, et les raisons mises en avant pour justifier cet intérêt, existent tant pour le justiciable, que pour l’institution :
- Apaiser les conflits et/ou pacifier les relations entre les parties, dans un souci de responsabilité du justiciable et de restauration durable de la relation
- Permettre aux parties de co-construire par elles-mêmes, de façon négociée et rapide, une solution satisfaisante, durable et adaptée, voire innovante, à leur conflit
- Permettre aux parties de limiter leurs frais de justice, et de gagner du temps
- Décharger les juridictions, dans un souci notamment d’amélioration du service de la justice en termes de qualité et de rapidité de traitement
- Réserver l’office du juge aux litiges les plus complexes juridiquement, l’idée étant même avancée que les modes amiables, dont la médiation, soient le mode principal de résolution des conflits, et le recours au juge, le mode subsidiaire.
Des freins persistants au recours à la médiation
Parmi les freins au recours à la médiation sont notés, par ordre de gravité : une culture de la résolution des conflits qui ne passe pas en priorité par l’amiable (22 réponses), le manque d'information ou de formation sur la médiation (16), la réticence d'une ou de toutes les parties (16), un doute sur l'efficacité de la médiation (9), l'inadaptation des outils informatiques pour le suivi (7), la nature des affaires (5), une insuffisance de cadre réglementaire pour intégrer la médiation (4), le risque d'un impact sur le processus judiciaire ou d’un allongement des délais (4).
D’autres freins d’ordre structurel sont également identifiés, tels « l'absence d'objectif statistique imparti aux juridictions par le Ministère, le défaut de financements publics dédiés au développement de la médiation, la pénurie de personnels (greffe et magistrature) pour accompagner une politique de juridiction volontariste », ou « la méconnaissance de la médiation par les magistrat(e)s et les avocat(e)s et l'absence de volonté de ces derniers qui sont peu demandeurs ; « la formation non-homogène des médiateur(e)s sur le territoire national, avec des pratiques locales voire très personnelles… ».
On relève aussi « le coût pour le justiciable par rapport à la conciliation, le nombre de parties à la procédure et leur éloignement géographique, le défaut de constitution d'avocat par une partie, la complexité des prétentions du demandeur, la lourdeur du travail du greffe en l'absence de ciblage ».
Des propositions utiles pour le développement de la médiation
Parmi une série de propositions citées par le SYME, celle qui a le plus convaincu (21 voix), est l’information sur la médiation dans les établissements d’enseignement supérieur (au-delà des facultés de droit), suivie de près (15 voix) de la proposition de campagnes nationales d’information du public.
Quant aux propositions spécifiques au fonctionnement des juridictions, les magistrat(e)s ont mis en avant, par ordre de préférence : les processus incitant les Juges à enjoindre une rencontre avec un médiateur (17 voix) ou à proposer une médiation (14 voix), mais aussi des engagements quantitatifs à de telles injonctions (7), l’établissement de statistiques par juridiction sur les médiations (14), ou encore des dispositifs permettant une communication régulière entre médiateur(e)s, magistrat(e)s et greffier(e)s (8).
Les propositions d’une certification uniforme et homogène des médiateur(e)s au niveau national, ou d’un partenariat avec une association type UMEDCA (Aix en Provence – Bordeaux) ont recueilli le moins d’adhésion (respectivement 9 et 5 voix).
Des bonnes pratiques existantes à développer
Parmi les bonnes pratiques existantes en matière judiciaire, restent à développer notamment :
- l’injonction à la médiation, l’ordonnance 2 en 1, sur les affaires considérées par le Juge comme pouvant se prêter à la médiation
- la formation des magistrat(e)s pour favoriser un recours plus fréquent à l’amiable
- une quantification de la charge de travail voire une décharge de temps pour les magistrat (e)s dédiés au suivi des MARL, ainsi que le développement des ARA en complément de la médiation judiciaire, voire la possibilité pour le Juge de rendre la médiation obligatoire
- des rendez-vous judiciaires avec la participation des parties pour conseiller la médiation, ainsi que des rencontres en dehors des parties entre magistrat(e)s, avocat(e)s, et médiateur(e)s.
Des recommandations d’améliorations prioritaires
Les recommandations mises en avant par les magistrat(e)s sont, en priorité, les suivantes :
- Former à la médiation les magistrat(e)s, les avocat(e)s, et les futurs professionnel(e)s du droit
- Soutenir les magistrat(e)s pour la mise en œuvre des modes amiables avec des moyens dédiés pour le tri et le suivi des dossiers, les liens avec les médiateur(e)s, les avocat(e)s, le suivi statistiques etc., et à cette fin recruter des juristes assistant(e)s spécialisé(e)s
- Mettre en place des « référent(e)s médiation dans chaque juridiction », afin d’assurer l'incitation et la facilitation du recours à la médiation par les autres Juges
- Développer le réseau et les liens transversaux entre magistrat(e)s, greffier(e)s et médiateur(e)s pour « trouver des intérêts communs à travailler en coordination »
- Développer l'information des avocat(e)s sur la médiation en collaboration avec chacun des Barreaux avec des avocat(e)s référent(e)s par juridiction
- Communiquer des statistiques fiables par service et nationales
- Rendre la médiation obligatoire dans certaines affaires (succession, famille, voisinage, copropriété, prud’hommes, commerce, etc)
- Dédier un financement public de la médiation « en lien avec les exigences et les contraintes des familles et la pratique des médiateur(e)s », ou a minima un financement à simplifier
- Informer le public et sensibiliser les justiciables « en leur expliquant qu'une injonction à rencontrer un médiateur n'est pas une "punition" et ne les prive pas d'un accès au juge ».
En conclusion, il apparaît à ce stade qu’en dépit des efforts et des pratiques actuelles, la médiation judiciaire souffre encore de la faiblesse de son dispositif institutionnel et des moyens affectés à son développement et à sa promotion. Une vraie politique de la médiation judiciaire demandera un fort investissement de la puissance publique, mais aussi beaucoup de travail conjoint entre acteurs de la Justice et médiateur(e)s. Cette enquête nous donne de précieuses pistes à explorer dans ce sens.
Catherine Sophie Dimitroulias, Nathalie Mauvieux, Claire Maurice Benhaim
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